Profils paysans
Difficile de ne pas rapprocher ce documentaire de l'immense Wang Bing (A l'Ouest des rails, A la folie) des essais de Raymond Depardon sur nos derniers et misérables paysans. La différence tient évidemment au lieu et surtout à l'âge des protagonistes. Aux octogénaires du Gévaudan, qui ont leur vie derrière eux, et supportent avec fatalisme leur pauvreté et leur vieillesse s'opposent ces enfants du Yunnan, plus pauvres, plus sales, et, paradoxalement, à l'avenir plus incertain. Les parents ayant disparu, nos trois enfants survivent, comme des bêtes, comme leurs bêtes (volailles, porcs, un chien), dans ces montagnes perpétuellement couvertes de brume. Un accès limité à l'éducation (saisissante scène d'une classe d'école où l'on hurle, comme au gueuloir de Flauvert, les textes classiques), une absence de loisirs (hors la TV qui tourne en permanence quand l'électricité le permet, ces enfants ne jouent pas, jamais), une hygiène déplorable (le pou est un des personnages principaux) : c'est le bagne que ce village. Et pourtant, il reste un fragile reliquat de vie communautaire, il y a la perspective de partir à la ville comme travailleur migrant, comme le père, il demeure un reste de culture et de civilisation (voir ces enfants privés de tout s'acharner à essayer de faire leurs devoirs arrache les larmes). Le génie de Wang Bing est de rester à leur hauteur : on ressent, avec eux, le froid, la fatigue, la misère - sans que le documentariste en tire d'effets tire-larmes faciles.