MIIKE Takashi : Les grandes lignes

INTRODUCTION

Les années 90, période intéressante pour la nouvelle génération de cinéastes dits underground ou anarchistes. On retiendra ici le cas de MIIKE Takashi, cinéaste capable du meilleur comme du pire, créateur à la fois dérangé et dérangeant, figure de tous les cultes souvent guère justifiés mais qui a au moins le mérite de faire parler de lui. Catalogué comme révolutionnaire à tort, MIIKE se classerait d’avantage dans la catégorie des opportunistes, surfant quand il faut sur tel ou tel effet de mode, tirant profit de l’art moderne qu’il soit sur papier ou pellicule, en apportant une touche qui fait souvent la différence, ou qui dans le meilleur des cas sauve ses réalisations du naufrage.

Les grandes lignes d'une filmographie variée

Le vrai problème avec MIIKE c’est qu’on ne sait jamais sur quoi l’on peut tomber car ce dernier n’a pas de style à proprement dit. Réalisateur de petits films craspèques destinés au marché de la vidéo au début des années 90, avec une préférence pour la revisite des yakuza eiga, genre pourtant torché depuis des lustres, mais qui entre les mains du cinéaste finit toujours pas déranger ou étonner. On pense alors au malaise d’un Shinjuku Triad Society, œuvre malade et épouvantable suivant les pérégrinations d’un flic étranger en plein cœur de la banlieue Tokyoïte, là où les yakuzas règnent en maître. Le climax, sal et écoeurant annonçait déjà les futurs travaux de MIIKE, pour la complaisance et la gratuité de certaines scènes difficiles. N'oublions pas non plus sa comédie délirante et bien grasse Osaka Tough Guys, que l'on pourrait qualifier d'ovni, mais ce serait aller trop vite en besogne surtout quand on sait que d'autres se sont déjà essayés à ce genre de cinéma décalé comme KITANO Takeshi et son Getting Any?. Le parallèle avec l'oeuvre de MIIKE est évident puisqu'elle représente pour ainsi dire la seule tentative définitivement loufoque de son auteur au cours des années 90. Des débuts qui en disaient déjà long sur le chemin qu’allait prendre le cinéaste, sans pour autant lui donner dans l’immédiat une certaine renommée au vu de la relative médiocrité de ses « essais ».

Pour cela il va falloir attendre un an afin de voir un peu plus clair dans les ambitions du metteur en scène : par exemple Fudoh: the new generation, adaptation libre du manga éponyme de TANIMURA Hitoshi, visuellement créatif mais intrinsèquement raté. Continuité évidente dans la violence et l’exagération, quelque peu adoucie un an plus tard avec Rainy Dog, escapade en Asie avec l’un des acteurs fétiches du cinéaste, AIKAWA Sho. Première collaboration aussi avec son compositeur attitré ENDO Kenji, qui nous livrait d’ailleurs peut-être sa meilleure partition. Le genre de musique que l’on pourrait se passer dans notre autoradio en roulant cheveux au vent sur la route 66. Volonté de décomplexer un style peut-être trop noir, cette année là et la suivante représentent en quelque sorte le calme avant la tempête : le particulier Full Metal Yakuza, ou nouvelle reprise d’un mythe de la SF (Robocop) alliée à la relecture du Frankenstein de Mary SHELLEY, étonnait par ses solutions visuelles, bricolées, mais toujours dans le ton. Plutôt violent, sans être non plus un summum de noirceur, le final laissait perplexe. La même année se voit célébrée par le plus beau film de MIIKE, Bird People of China, ou comment laisser la crasse des grandes villes pour une escapade en montagne. Sa plus grande réussite à ce jour, sorte de drame sur fond de légende, confrontant un trio d’acteurs soudés bien que tout les opposent. C’est cette mixité forte qu’aimait partager le cinéaste au travers de ses récits, confronter ces différences sociales par le biais de scénarii souvent crus et violents, car même si très joli, Bird People of China n’en était pas moins grave.

1998, dernière respiration sincère avec Blues Harp, chronique sociale travaillée et optimiste, sur les déboires d’un jeune type qui veut à tout prix percer dans le domaine de la chanson. Ambiance enfumée et saxophones sont de la partie, tout comme les flingues et les larmes. Enfin, Andromedia et sa cyber héroïne, pastiche yakuza aussi belle que maladroite. On retrouve ici encore les signes d’un produit bâclé, manquant de soins à de nombreux égards, mais que l’on pardonnera par l’utilisation de symboles forts comme ce cerisier planté en plein milieu d’une plage. Un des derniers adieux de MIIKE au film romantique avant de passer aux choses sérieuses avec Audition réalisé en 1999 et qui le fit connaître en dehors de l’Asie par l’intermédiaire des festivals. Etrangement considéré comme son chef d’œuvre par la presse française (c’est à croire que la filmographie de MIIKE ne s’arrête qu’aux quelques diffusions en salle), Audition souffrait d’un manque évident de rythme et d’intérêt pour pouvoir tenir la dragée haute à ses œuvres les plus intimes et audacieuses car ce dernier n’a d’audace que dans son approche douloureuse du sadisme et du plaisir de faire mal par la longueur des tortures, le reste n’est que néant cinématographique malgré cette dernière demi-heure éreintante. Un long-métrage peut-il recevoir autant d’honneur lorsque l’on parle uniquement d’Audition pour sa dernière séquence ? Difficilement concevable. Quoiqu’il en soit, ce bon succès critique a le mérite d’avoir lancé définitivement MIIKE dans une dynamiike (oui, bon…) propre au cinéaste : celle de réaliser films sur films, faisant de lui l’un des plus prolifiques du Japon. La même année voit donc apparaître Ley Lines, yakuza eiga médiocre, et Silver, son seul film érotique assez quelconque qui n’avait d’intérêt que pour la très vixen SAKURABA Atsuko. Enfin, l’une de ses réalisations les plus connues, Dead or Alive clôt l’année de manière une nouvelle fois surprenante, car à la fois mauvais mais original, son premier opus étonnait par son climax décalé et salasse, revisitant d’une façon culottée les codes du polar moderne par son aspect orienté SF/techno et sa scène de fin explosive mais nonsensique au possible. Objet de tous les paradoxes, Dead or Alive reste à ce jour l’une des œuvres les plus adulées du cinéaste, tout comme l’une des plus décriées. Beaucoup de bruit pour au final pas grand-chose, où l’art d’idolâtrer MIIKE un peu rapidement. La franchise DOA allait d’ailleurs engendrer deux suites officieuses dans les années à avenir. 

Le début des années 2000 est aussi l’occasion pour MIIKE de s’adonner à l’adaptation d’un manga culte de OTSUKA Eji, la série des MPD Psycho. Une adaptation mêlant ingrédients fantastiques et univers bizarre, quasi abstrait, convenant parfaitement au style de son auteur. C’était aussi l’occasion de révéler les talents de KURIYAMA Chiaki aperçue dans le dernier film de FUKASAKU Kinji, Battle Royale. La série des MPD Psycho compte à ce jour six épisodes dont les deux premiers édités en France chez Asian Star. Cette année, peut-être la plus chargée sur le planning de MIIKE, permettait de découvrir l’excellent KIKKAWA Koji dans le délirant City of Lost Souls, hélas réputé pour ses combats de coq à la Matrix. Ce métrage de qualité est une chasse à travers le Japon avec l’acteur brésilien TEAH. L’occasion d’évoquer rapidement les nombreuses collaborations du réalisateur avec des personnes du monde entier et de toute l’Asie, et à contrario de certains spécialistes du film de yakuza, MIIKE ne travaille pas uniquement au Japon. Taiwan ou encore les Phillipines sont autant de lieux que l’on peut retrouver dans sa filmographie avec entre autre le chef d’œuvre Les Prisonniers du Paradis et son cadre Philippin. Un peu plus tard, mais toujours la même année, Dead or Alive 2 - Birds et White Collar Worker Kintaro voient le jour. Si le premier s’avère être un ratage malgré sa thématique emprunte de nostalgie, le second reste une comédie tout public qui ne prend aucun risque. Le revers de la médaille : un grand manque de personnalité malgré une histoire agréable et rythmée.

Un an plus tard, première grosse incursion du cinéaste dans le domaine de la comédie musicale dégénérée avec son The Happiness of the Katakuris et ses interprètes déjantés qui chantent pour masquer les cadavres mal planqués à droite à gauche. A noter aussi l’utilisation du morphing (image par image) lors des séquences faites en pâte à modeler, au demeurant très réussies et drôles. Puis vint un changement radical du cinéaste avec son Ichi The Killer, peut être le film le plus adulé par la nouvelle génération de cinéphiles en manque de sensations fortes. Une nouvelle fois, ce long métrage tordu attire les foules par sa violence débridée et qui ne recule devant rien : absence totale de sens, esthétique grossière et misogynie inquiétante. L’occasion pour le cinéaste de faire jouer l’une des plus grandes stars du moment : ASANO Tadanobu et sa carte de visite particulièrement riche (collaboration avec IWAI Shunji, HOU Hsiao Hsien, KITANO Takeshi, OSHIMA Nagisa…), dans la peau d’un yakuza SM, à des années lumières de ses rôles habituels. A noter aussi la nouvelle collaboration de TSUKAMOTO Shiniya, que l’on avait vu auparavant dans l’introduction lamentable de Dead or Alive 2 - Birds. Avec Ichi The Killer on est en droit de penser que MIIKE ne peut aller plus loin dans l’extrême violence, dépassant déjà allègrement les limites. Mais foutaises, puisque 2001 se termine par un sidérant brûlot social : Visitor Q. Descente aux enfers d’une famille japonaise moyenne, parsemée de tentatives pour remonter sur Terre, ce long-métrage corsé effrayait par sa vision totalement pessimiste de la société japonaise et l’importance des médias. Pamphlétaire anarchique, tour à tour grotesque et dérangeant, mais délibérément courageux, MIIKE dépeignait au travers d’une satire poussée tout un tas de tabous afin d’appuyer ses arguments. Mais son traitement très –trop- libre nous laissait sur une sensation mitigée, comme si le film, paradoxalement, n’allait pas assez loin dans sa démarche dénonciatrice. Quoiqu’il en soit, Visitor Q asseyait définitivement la réputation du cinéaste, que ce soit dans les nombreux festivals ou pour le marché de la vidéo international. 

L’année suivante, MIIKE réalisait peut-être l’un de ses plus mauvais films, le désolant Dead or Alive: Final, ou comment passer à la moulinette les codes du yakuza eiga, le film techno et l’esthétisation MTV pour en faire une soupe indigeste. Heureusement, Graveyard of Honor sauvait la donne avec sa vision plus sérieuse du film de yakuza malgré la dureté de ses images et sa photo le rendant plus vieux de dix ans. Adaptation du roman de FUJITA Goro, lui-même adapté par FUKASAKU en 1975. Préférez la version de ce dernier, même si la patte MIIKE propose de belles choses notamment au niveau de la mise en scène plus inventive qu’elle n’y paraît.

Nous sommes en 2003, année intéressante car surtout axée sur les références, bonnes mais aussi mauvaises. Bonne voir surprenante avec Gozu, réussite totale dans le domaine de l’étrange, piochant largement du côté de David LYNCH pour univers quasi estampillé Twin Piks : Fire walk with me et ses personnages tordus et inquiétants à la Lost Highway, et CRONENBERG pour sa scène finale n’ayant rien à envier à la « mère » de Chromosome 3. La seule déception était à mettre à l’actif du rythme inexistant, plaie pour un film dépassant les deux heures. 2003 et ses références donc, avec pour finir La Mort en ligne, plus mauvais film du réalisateur et en même temps son plus banal, resaucée navrante de Phone du coréen AHN Byeong-Gi et son téléphone flippant. Un ratage que l’on devait en partie à cause d’une accumulation de clichés grossiers et de l’absence dramatique d’originalité, cette originalité qui est pourtant la marque de fabrique du cinéaste. Qu’importe, même si le plus inquiétant demeure cette période des années 2000 où MIIKE enchaîne les films bâclés.

En effet, en cette année 2004, Zebraman débarque à point nommé pour booster le cinéaste et revaloriser sa cote de popularité auprès des jeunes cinéphiles. Mais là encore son œuvre respire l’approximation et le manque de volonté d’aller au bout des choses : lettre d’amour au kaiju eiga et son super héros bricolé triste et frustré, joué par AIKAWA Sho. Visuellement inégal et hélas trop léger dans sa théma abordée (l’importance de la famille, les relations père/fils) pour pleinement convaincre. Changement de cap par la suite avec Yakuza Demon et son bouffi TAKEUCHI Riki, ridicule. Dispensable, et n’avait d’intérêt que pour une poignée de séquences dramatiques et silencieuses très réussies. Un énième accident pardonné par sa collaboration avec deux cinéastes intéressants, PARK Chan-Wook et FRUIT Chan, et son film à sketch Three Extremes. L’opus réalisé par Miike traitait d’un sujet grave et faisait preuve d’une poésie palpable, qu’on ne trouvait pas dans le délirant Cut ! et le flémard Dumplings. Le travail sur l’esthétique impressionnait (belle performance du directeur de la photo KAWAKAMI Kôichi) devant tant de rigueur, presque inhabituelle chez le cinéaste. Enfin, Izo et sa revisite du film de sabre néo-rétro, fatiguait par son accumulation de séquences gores peu justifiées et sa trame décousue, malgré un visuel intéressant. L’occasion aussi de faire jouer KITANO durant une courte séquence. Ca fait toujours beau sur le CV…

Un an plus tard, MIIKE chamboulait ses habitudes pour travailler avec Mick GARRIS, honnête artisan de la série B, et sa série à succès des Masters of Horror. Evoquons d’ailleurs l’interdiction pure et simple de l’opus Miikien sur le territoire américain, Imprint, considéré comme trop déviant. Le sexe étant tabou sur les chaînes américaines, il est bien légitime de ne pas diffuser l’épisode dont les thèmes évoquaient la prostitution l’inceste et la mort de fœtus, avec un premier degré effrayant. Notons aussi la même année la nouvelle collaboration du cinéaste avec la Tsuburaya pour la réalisation du quinzième épisode de la série des Ultraman Max, firme créée il y a une quarantaine d’année et qui n’a cessée d’évoluer. Enfin, pour terminer ce tour d’horizon sélectif de la filmographie éclectique de MIIKE Takashi, il est bon d’évoquer son récent Great Yokai War et son héroic-fantasy de supermarché. Amusant pour ses personnages fantasques et sa bonne humeur d’ensemble, mais décevant au niveau de son écriture puérile et clichée. MIIKE est définitivement plus à l’aise en tant que metteur en scène que scénariste et cela s’en ressent fortement. Il fut présenté dernièrement au 14ème festival Fantastic’Art de Gérardmer (anciennement Avoriaz) sans être en compétition officielle.

MIIKE Takashi est décidément un drôle de personnage dans l’industrie cinématographique japonaise. Souvent idolâtré par une partie de la presse internationale ou alors conspuée par une autre, l’essentiel est qu’il devise et surprend par sa vision totalement décalée et provocatrice des différents genres abordés. Il manque peut-être au cinéaste une équipe plus sérieuse et un rythme de travail plus calme. Beaucoup voient en MIIKE les traces d’un génie incompris et d’autres, un fumiste de première classe. Le cinéaste ne semble en tout cas pas prêt de lâcher ses bonnes vieilles habitudes avec entre 5 films en préparation pour 2007, dont un certain remake du chef d’œuvre de Sergio CORBUCCI : Django. Quand on vous dit que tous les genres ont été passés au peigne fin, on ne vous ment pas…

Liens utiles

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Trailer - Big Bang Love Juvenile A
Interview MIIKE Takashi
Filmographie
date
  • mars 2007
crédits
Personnalités