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Pistol Opera

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les avis de Cinemasie

3 critiques: 3.75/5

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20 critiques: 3.55/5



Xavier Chanoine 2.5 Maîtrise formelle ahurissante pour un résultat inégal
Ordell Robbie 3.75 La Marque d'un Grand
Sonatine 5 Un bijou pour tout cinéphile !
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Maîtrise formelle ahurissante pour un résultat inégal

Le gros problème de Pistol Opera c'est sa contradiction. Tandis que Suzuki évoque tout un pan de son cinéma post 63 et s'auto-cite dans les grandes lignes (Pistol Opera étant le remake de La Marque du tueur), il fond dans le grand n’importe quoi nonsensique, et joue de sa propre théâtralité. En soit, Pistol Opera n'est pas un film à proprement parlé, mais bien une relecture stylistique de ses classiques formels, exigeant de son spectateur une bonne connaissance de son cinéma et des codes du polar pop jazzy. Pistol Opera a donc la saveur des films d'antan, calque sans grande profondeur même si visuellement ébouriffant (voir fatiguant), se fichant des limites mêmes du format pour davantage exploser et faire transparaître la sueur d'un cinéma anarchiste, libre de toutes conventions, poussant le vice jusqu'à trouver un rythme grâce à un score reggae. Certaines séquences sont ainsi mémorables (la poursuite entre l'handicapé moteur et Numéro 3, le duel final opposant Numéro 1 et 3), hélas plombées par l'absence totale de cohérence ou de liaison, le film de Suzuki n'étant qu'un pur récital d'idées en tout genre (personnage insensible, enfant voulant apprendre à tuer, utilisation récurrente de planches dessinées), comme une sorte d'attraction un peu longue et périlleuse mais dotée d'un final renversant.

La bravoure des grands Suzuki n'est pas là et le grotesque du film ne correspond pas avec l'image sous-jacente que Suzuki tente de ressortir (le thème musical de La Marque du tueur peine à convaincre malgré ses élans nostalgiques) et les innombrables symboliques récurrentes. Comment peut-on effectivement justifier la symbolique du chien errant ou celle du train, filmés sans aucun son? Ce ne sont pas non plus les nombreuses ellipses ou les tours de force formels totalement vains qui changeront la donne (après avoir été touché d'une balle, le portrait du Numéro 3 se brise comme du verre) , pas même ce duel final rappelant Le vagabond de Tokyo par sa théâtralité et ses décors épurés à l'extrême. Pistol Opera se voit donc avant tout comme une démonstration visuelle avant d'être un objet de cinéma.

Quelques mots de Suzuki :
"C'est un remake de La Marque du tueur. Le fait que le héros soit un homme posait des problèmes au niveau du scénario. Je l'ai donc remplacé par une femme. J'en ai fait de même avec le rôle du tueur N°1. J’étais également sans actrice pour les scènes d'action. Alors j'ai eu recours à des femmes à la démarche gracieuse et légère, quasi félines. Je les ai recrutées dans un club sportif. L'une d'entre elle était donc Makiko Esumi (dans le rôle du tueur N°3). Elle était joueuse de volley ball. Elle a un visage d'une grande beauté plastique. Son rôle est mi-masculin, mi-féminin. Elle a su jouer parfaitement la dureté qu'il exigeait sans perdre sa grâce féminine. Son caractère se prêtait bien au personnage. Quant à Sayoko Yamaguchi, elle fut excellente dans le rôle du tueur N°1. J'ai bien fait de miser sur elle. J'ai eu de la chance". ©Propos recueillis par Fabrice Arduini

11 juin 2007
par Xavier Chanoine




La Marque d'un Grand

Après Fukasaku Kinji et Imamura Shohei, c'est au tour d'un autre papy électrique du cinéma japonais de montrer aux jeunes générations pourtant talentueuses et souvent biberonnées à son cinéma qu’il faut encore compter avec lui. S’il n’égale pas les grandes réussites suzukiennes des années 60, Pistol Opera offre une synthèse réussie des deux parties de la carrière du cinéaste : celle des années de relecture surréaliste du cinéma de genre et la seconde partie de carrière marquée par une plus grande présence d’éléments japonais traditionnels.

Car dès les premières images -ce tueur au travail depuis le toit d'un immeuble qui se fait prendre pour cible et se sauve in extremis, sa chute étant filmée avec une grande distance- l'art consommé du polar décalé de Suzuki est de retour ce que vient confirmer un générique mélange de motifs bondiens, clichés de générique de polar, collage surréaliste et kabuki. La variation sur son classique la Marque du tueur peut alors commencer (avec comme grande différence par rapport à l'original une importance accrue des personnages féminins). Très vite, le film met en évidence la forte artificialité de ses personnages.

Cette artificialité débouche vers une grande théâtralisation du récit, marquée au début par la scène où l'on voit Numéro 3 s'entraîner chez elle filmée en ombres chinoises. A ce propos, Suzuki coupe à plusieurs reprises le son dans certaines scènes: les dialogues joués avec un coté légèrement décalé par les acteurs paraissent alors détachés du récit ce qui renforce l'artificialité revendiquée. Le décalage peut être également créé par des bruits évoquant des éléments qu'on ne verra jamais dans le plan: bruits d'hélices ou de rythmes quasi-militaires. Une des forces du film est de ne jamais sombrer dans le grotesque malgré une galerie de personnages caricaturaux ou bizarroïdes: le jeune frimeur à lunettes, le tueur lourd dans tous les sens du terme, le tueur en chaise roulante qui poursuit Numéro 3, le Caucasien incapable de ressentir la douleur même lorsqu'il se plante un couteau dans la main, la tueuse masquée aux attitudes héritées du théâtre traditionnel japonais. Le coté caricatural des personnages est justement une référence aux bad guys des James Bond années 60.

Si justement Suzuki évite en permanence le grotesque, c'est grâce à son art consommé de la mise en scène: la course poursuite avec le tueur en fauteuil roulant est filmée avec une grande distance qui est aussi celle du spectateur au récit, Suzuki crée la durée à coup de longs plans d'une grande puissance contemplative, il offre des zooms et des mouvements hésitants de caméra hérités du cinéma de genre japonais des années 60 exécutés avec une grande maîtrise, un peu comme si dans la fleur de l'âge il arrivait à concilier audace et maturité dans un même mouvement. Lorsque la caméra s'approche dans un long travelling avant par moments tremblants de la tueuse transpire la maestria formelle du cinéaste et de sa capacité à théâtraliser une situation.

Scénario prétexte à un déploiement de maestria stylistique et de visions surréalistes? Bien sûr mais le canevas narratif choisi offre assez de liberté pour que ce désir d'ignorer la logique narrative élémentaire fonctionne bien mieux que dans la Taisho Trilogy. Mais ce faisant on débouche sur quelques idées se vautrant dans le ridicule (le chien se balladant près d'un mur comportant des portraits de Marx, Nietzsche et Einstein par exemple...) et quelques longueurs. On a beaucoup de plaisir à retrouver le coloriage kitsch travaillé de Suzuki: il fait merveille lors des scènes quasi-fantastiques au bord d'un fleuve évoquant le Styx -on retrouvera d'ailleurs des suppliciés des enfers à la fin du film- ou lors de situations quasi-surréalistes.

Spoilers Parmi elles, un canapé dix-huitième siècle au milieu d'un décor urbain, la tueuse masquée donnant à manger à des enfants sur une table évoquant le Château de Versailles en plein milieu d'une scène vide qui ne dépareillerait pas dans une pièce de Beckett, le spectacle au sabre froid et précis. Un des personnages dont la moustache rappelle Dali renforce la référence. A signaler aussi une belle scène où l'on voit l'ancien Numéro 3 éructer contre Numéro 3 en ombre chinoise derrière une porte. Mais la splendeur picturale et théâtrale va exploser dans la variation sur le duel final: les deux tueuses y sont amenées par des portes tournantes portant des photos d'Hiroshima, de la Rome antique ou meme une horloge sur fond jaune poussées par des suppliciés des Enfers teints en bleu, le décor mélange coloriage kitsch et colonnes romaines, on voit la tueuse voilée se livrer à l'exécution d'un ballet, des tableaux rappelant Goya ou l'image de l'explosion d'Hiroshima surgir subitement du sol. Fin Spoilers L'humour très présent contrebalance en permanence le coté trop théorique que risquerait d'avoir le film.

A l’époque des studios, les contraintes commerciales avaient permis à Suzuki de réaliser une série d’œuvres aussi politiquement subversives que d’une grande modernité. Avec désormais les mains libres artistiquement, il offre un film moins abouti mais n’ayant pas à rougir de la comparaison avec ses contemporains comme avec la jeune garde nipponne. Pistol Opera nous rappelle juste que la modernité suzukienne est loin d’être dépassée à l'heure où ses admirateurs dénommés Jarmusch, Tarantino, Kitano ou Woo l’ont recyclée, ce qui n’est déjà pas si mal…



10 septembre 2002
par Ordell Robbie


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