Gruiiiiik
Avec "Cochons et cuirassés", au début des années 60, Imamura Shohei retournait tout le petit monde du cinéma. A cette époque, déjà, il avait ce recul par rapport au sujet abordé et ce sens de l'humour qui caractérisent aujourd'hui encore ses oeuvres. Mais le plus subjuguant, c'est cette maîtrise de l'espace épousant parfaitement l'attitude de cette jeunesse libertaire qu'il met en scène.
Voguant entre drame social et comédie satirique, "Cochons et cuirassés" est un film de la nouvelle vague nippone à ne pas négliger.
All trui(s)tes
Dans la continuité du prolétariat, Imamura s'attache à dépeindre al communauté criminelle suite à - celle - ouvrière dans "My second brother". Ce sera d'ailleurs son seul pur film de yakuzas (bien que la figure réapparaîtra dans plusieurs de ses autres oeuvres).
Souvent mis en avant comme LE premier "vrai" film de son auteur, c'est du moins celui qui lui laissera la coudées franches par ses studios commanditaires, la Nikkatsu; en revanche du côté de son style et de sa maîtrise, Imamura n'atteindra son pic que dans son suivant, "La Femme Insecte".
Finalement, "Pigs and battleships" ressemble beaucoup à son précédent, "Désir Inassouvi" avec une même tension au sein d'un groupe, une même cupidité à gagner rapidement de l'argent, une intrigue d'amour similaire avec la femme prétextant d'aller vers le plus fortuné. En revanche, Imamura maîtrise bien mieux ses thèmes et ne prend son histoire que pour prétexte à un persiflage dévastateur de l'occupation américaine. Dès le plan d'ouverture (un classique plan aérien, pour introduire le monde vu de "haut"), partant d'un drapeau américain, en passant par une zone portuaire envahie par d'imposants bâtiments de guerre jusqu'à découvrir el quartier "chaud" de la ville, Imamura donen sa propre version des faits des conséquences directes de l'occupant américain; ce qui ne l'empêche pas de railler également la mentalité japonaise: l'occupant américain a créé une véritable économie souterraine, ayant largement contribué à l'essor de l'économie japonaise et aux japonais de s'immiscer dans cette brèche. Les seuls japonais montrés dans le film sont donc des racoleurs, des maquereaux ou des petits truands, tentant par tous les moyens d'extirper de l'argent de l'occupant américain. Ils se conduisent tels des porcs relâchés - au cours d'un mémorable plan final - dans les rues, écrasant leurs prochains au passage. Ils sont même pires que les cochons, montrés comme des "cannibales" en mangeant littéralement leur prochain.
La distanciation à ses personnages permet au réalisateur le recul nécessaire pour ne pas tomber dans la caricature ou de ridiculiser ses protagonistes. Kenta est tout sauf le truand, dont il aimerait se donner l'allure: son look (entièrement "américanisé") le rend totalement ridicule; il tourne de l'oeil à la vue d'un cadavre; n'est pas capable de racketter une pauvre famille affaiblie et sera totalement démuni face à l'utilisation d'une arme. Son cheminement semble donc tracé dès le départ; et ce ne sera pas le "havre de paix" incarné par la belle Haruko, qui saura le faire dévier.
Haruko, qui est une nouvelle fois l'image d'une femme forte, raisonnée, les deux pieds sur terre et qui trouvera finalement en sa "libération" de l'emprise de son fiancé son propre salut.
Une oeuvre forte, très réfléchie, une nouvelle fois en avance sur son temps de ce qui se faisait habituellement à l'époque (FUKASAKU et la Nouvelle Vague ont tous deux en subir une forte influence...), mais seulement embryonnaire du vrai style d'Imamura à venir.
Amer sourire
COCHONS et CUIRASSES fait partie des premiers films de SHOHEI IMAMURA, chronique sur un Japon en pleine reconstruction après la défaite, ou la présence américaine est encore très visible voire écrasante, le petit peuple tentant de survivre entre marché noir, magouilles foireuses et espoir illusoire de lendemains radieux. IMAMURA s’intéresse au sort de KENTA, un jeune homme très éloigné du salary-man cher à OZU, qui espère empocher une belle somme d’argent suite à un trafic de cochons, tandis que sa fiancée HARUKO qui rêve d’Amérique est plus pragmatique et préfèrerait une existence plus honnête.
La vision sociale est au premier plan, mais n’est jamais présentée avec lourdeur et emphase démagogique, le cinéaste choisissant la distance et l’humour qui seront toujours sa caractéristique pour délivrer un message humaniste et contestataire parfaitement déniaisé de tout idéal superflu. Il observe ainsi les comportements et agitations d’une bande de Yakuzas avec une acuité impitoyable, mais avec un détachement qui noircit d’autant plus le trait. Ceux-ci ne sont en rien des personnages héroïques porteurs de valeurs ancestrales, mais des petits malfrats pleutres et obnubilés par l’argent, prêts à toutes les compromissions pour en gagner toujours plus. Le réalisateur les associant ouvertement aux cochons de son histoire, en une vision finale magistrale autant qu’acerbe. Mais c’est tout le peuple japonais qui est aussi montré du doigt, avide de confort facile quitte à se renier pour ses occupants, des américains qui en prennent pourtant pour leur garde tout au long d’une intrigue échevelée culminant en une séquence dantesque ou IMAMURA fait étalage de son sens de la mise en scène.
Autant le héros masculin apparaît ballotté en permanence entre des choix qu’il ne parvient dramatiquement pas à assumer, autant la femme est un concentré de volonté et de courage malgré des épreuves à surmonter d’une dureté impitoyable (voir l’hallucinante séquence de viol par les marins US), personnage attachant et promise à une destinée sans doute plus intéressante que ses homologues masculins. C’est JITSUKO YOSHIMURA qui prête sa sensualité animale à HARUKO, on pourra admirer sa présence charismatique dans l’envoûtant ONIBABA trois ans plus tard. La distribution représente d’ailleurs une belle brochette d’acteurs typés ou TETSURO TAMBA joue avec délectation un gangster faussement cancéreux.
Dans ce long-métrage ou l’amertume côtoie en permanence le sourire, IMAMURA préfigure ce que sera son cinéma par la suite, la touche du veux maître étant alors rapidement reconnaissable des les premières minutes du film. En 1966 il adaptera très brillamment NOSAKA avec LE PORNOGRAPHE, mais étrangement, ce COCHONS & CUIRRASSES annonce un autre bouquin que le romancier écrira vers 1967: LES ALGUES D’AMERIQUE, nouvelle sur la fascination/répulsion nippone vis-à-vis de cet encombrant occupant aux géants aux yeux bleus. Le ton y est sensiblement le même, preuve que la rencontre de ces deux libres penseurs n’était en rien un hasard, deux observateurs sans concession de l’évolution de leur pays, pas toujours pour le meilleur. Un grand film.
Première réussite
Cochons et cuirassés (1961) est généralement reconnu comme la première vraie réussite d’Imamura, le premier film où se ressente sa patte toute personnelle et inimitable. Le cadre rappelle un peu celui de la moins réussie Rivière noire de Kobayashi. Autour d’une base américaine, vivote une petite bande de parasites qui vivent d’arnaques, de marché noir – et de l’élevage de cochons. Kenta, apprenti yakuza, est amoureux de Haruko, dont la famille aimerait bien qu’elle monnaye ses charmes auprès des GI locaux.
Le charme de Cochons et cuirassés tient à la peinture réaliste de ce petit milieu de marginaux et au brio de la mise en scène faussement brouillonne d’Imamura. Comme souvent chez lui, on peine initialement à identifier les personnages et les enjeux avant que tous les éléments du décor, toutes les informations dont a été bombardé le spectateur de manière apparemment anarchique prennent sens et que les différents fils de l’intrigue soient passés au tamis de la narration. Le rythme va croissant, le mélange des genres (épisodes comiques et tension dramatique de certains épisodes) se fait plus déconcertant et le film se conclue par un admirable lâcher de cochons – et le constat de la difficulté de nos protagonistes à concilier leurs aspirations individuelles avec celles de leur milieu.
L’ensemble n’est pas toujours palpitant et Imamura sera naturellement plus brillant par la suite – mais on part sur de bonnes bases. Pour les familiers d’Imamura, le film n’en est pas moins passionnant.