Kim Ki-Duk montre tout, une poésie parfois éclatante comme parfois vulgaire
Bien qu'étant son premier film, Crocodile respire déjà tout le cinéma de Kim Ki-Duk à venir même s'il reste parfois maladroit ou gorgé de symboliques assénées avec force. L'histoire est on ne peut plus simple, Crocodile est un clochard qui tente de vivre désespérément en faisant du business avec les personnes qui se suicident dans un lac non loin de son campement qu'il partage avec un vieil homme et un gamin. Un beau soir il récupère des eaux une jeune femme et ses pulsions sexuelles le rendent incontrôlable et exacerbent la violence qui sommeille en lui, ce dernier tente en effet de violer la jeune femme à maintes reprises malgré les timides représailles de son petit entourage, le gamin essayant même de le castrer dans un excès de lucidité. Le quotidien de cette petite troupe n'est pas non plus des plus simples, sans le sou, Crocodile et l'enfant vendent à la sauvette du chewing-gum pour pouvoir se payer un paquet de nouilles et tant d'autres moyens sont aussi bons : prendre en photo un chef d'entreprise entrain de tromper sa femme et le faire chanter à coup de gros billets verts, se venger d'un inspecteur de police qui l'aura fait boire pour le violer dans une chambre d'appartement. Un quotidien alarmant dépeint par un cinéaste qui avait déjà son mot à dire et qui ne tardera pas non plus à recevoir les foudres des spectateurs pas encore prêts à subir de plein fouet maltraitances sur maltraitances, injures tous azimut et propos sous-jacents particulièrement graves en guise de peinture sociale.
Kim Ki-Duk ne manie d'ailleurs pas encore tout à fait l'ellipse et évite en grande partie le hors champ ce qui a don de rendre Crocodile parfois à la limite de la complaisance, pas bien malin lorsque le film est truffé de séquences dérangeantes, fatigantes, éreintantes, accouplées aux nombreuses symboliques du film ou quelques moments de grâce sous-marins apportant la touche qui fait la différence dans la comédie dramatique aux propos forts en sens : lorsque Crocodile plonge sous l'eau pour ramasser un corps, accrocher un tableau ou gonfler un ballon, le film prend des allures de ballet aquatique d'une belle poésie surtout lorsque la séquence est mariée à la musique minimaliste de l'oeuvre, entre vieux accords romantiques et sonorités HK du début des années 90. La symbolique des bateaux en papier, la tortue peinte en bleu, le billet déchiré à moitié, tout fait penser au grand Kim Ki-Duk des années 2000 à l'heure où son cinéma n'a plus rien à prouver dans la liste des thématiques empruntées et négociées avec un vrai sens de la poésie triste. Mais cette accumulation de symboliques, ces séquences d'amour, cette création de liens sous l'eau imagée par la paire de menottes distille un parfum qui sera une nouvelle fois utilisé dans la filmographie du cinéaste, de The Birdcage Inn jusqu'au sommet de ses créations, Kim Ki-Duk fera du neuf avec du vieux, c'est à dire les recettes de Crocodile saupoudrées d'une plus grande maîtrise formelle qui tendra véritablement à la contemplation jusqu'à Printemps, Eté, Automne, Hiver... l'un de ses films les plus zen et les plus maîtrisés sur le plan visuel. Parfois éprouvant, vieilli mais d'une belle valeur historique, Kim Ki-Duk signe avec Crocodile une préparation de ses futurs chefs d'oeuvre.
"Crocodile", bien plus que "Wild Animals", portait en germes bon nombre d'éléments caractérisant aujourd'hui le cinéma de Kim Ki-Duk (le rapport à l'art, la femme comme moteur de la narration, le lieu principal de l'action entouré d'eau, le personnage principal s'exprimant peu par la parole mais beaucoup par la violence, etc...). Et si la maîtrise de l'auteur coréen au sens cinématographique n'était pas encore ce qu'elle est à présent, "Crocodile" est proportionnellement plus sincère, car plus excessif, donc plus enclin encore qu'un "Bad Guy" ou "L'île" à faire ressentir au spectateur la mince frontière séparant un mal extrême, d'une beauté presque poétique. Cependant, Kim Ki-Duk a fait beaucoup mieux depuis, parvenant au passage à canaliser ces excès pour les besoins d'un public plus large à séduire. Qui a dit pute ?
Wild Animals
Premier long-métrage de Kim Ki-duk, "Wild Animals" est l'aboutissement d'un long parcours professionnel sinueux pour enfin aboutir à la réalisation de son premier long.
Travailleur à l'usine, marine, bénévole à l'église, puis peintre de rue à Palavas-les-Flots, cette première réalisation survient après plusieurs années à signer des scénarii.
Son premier brasse déjà tous les thèmes obsessionnels de ses futures œuvres. Une tête brûlée, qui s'exprime mieux à al force de ses coups de poings, que par les mots, une histoire d'amour, qui signera également la déchéance de son couple et une petite communauté, qui va finir par voler en éclats. Un premier essai maladroit et mal maîtrisé, il est pourtant un passionnant brouillon d'une future œuvre récurrente et répétée.
Bancal, "Crocodile" n'en est pas moins une première œuvre étonnante dans l'affirmation de son réalisateur que de n'avoir vu que très peu d'œuvres cinématographiques auparavant; en revanche, on y lit sans aucun mal l'inspiration majeure du cinéaste Leos Carrax, dont Kim Ki-duk avoue avoir vu comme l'un de ses tous premiers films "Les Amants du Pont Neuf" lors de son arrivée sur Paris. Une ressemblance, qui se traduit par certains thèmes, personnages et dans l'utilisation si particulière d'une lumière bleue et blafarde. Les scènes poétiques sous l'eau rappellent d'ailleurs sans mal parmi les meilleures séquences des premières œuvres de Carrax.
Au-delà de la naissance d'un futur talent, il est pourtant à souligner le mérite d'avoir su réaliser une telle œuvre audacieuse au sein d'une cinématographie moribonde. En 1996, le cinéma coréen est encore loin de connaître son renouveau; la production est au plus bas et entièrement concentrée sur des œuvres commerciales. Kim s'est forgé une certaine réputation et remportant plusieurs prix de scénarii, dont "A painter and a Criminal Condemned to death" à l'Educational Institute of Screenwriting en 1993, "Double Exposure" et "Jaywalking" par la KOFIC) en 1994 et 1995. C'est pourtant un rare pari audacieux. Qu'a prix la société de production Joyoung Films en lui confiant la réalisation de son premier long, alors qu'il ne disposait d'aucune formation, ni expérience particulières dans le domaine cinématographique. Son succès doit également beaucoup à sa rare persévérance à défendre ses œuvres, notamment en invitant la presse locale à découvrir ses premières œuvres (qui – lorsqu'ils daignent visionner ses films – vont très souvent les rejeter en bloc, ce qui vaudra à un antagonisme assez haineux entre l'auteur et les critiques) et à les montrer aux rares Festivals existants – dont le Festival International de Pusan, qui fera beaucoup pour le lancement de la carrière du réalisateur, en sélectionnant tous ses films jusqu'à programmer "The Coast Guard" en ouverture du festival en 2002.
Une œuvre surtout intéressante pour les fans du réalisateur; un peu moins facile d'accès (outre son caractère largement inédit, en-dehors de quelques pays distributeurs de son DVD, dont l'Allemagne et le circuit festivalier) pour les non-initiés de son cinéma, qui risquent d'être rebutés par son côté visuel et scénaristique moins maîtrisé que ses futures œuvres.
Rien à garder
Cette oeuvre de jeunesse est certes à regarder comme une ébauche, un premier état des thématiques ultérieurement abordées - et avec un talent bien supérieur -par Kim Ki-Duk. Cependant, même avec un oeil compréhensif, on ne peut qu'être gêné par la vulgarité et la confusion du propos. A oublier.