Un polar classique mais formellement diabolique
Il est assez incroyable de voir à quel point des cinéastes comme Oshima ou encore Masumura influenceront à l'avenir des grands noms comme ici Shinoda ou encore Suzuki voir Misumi. Si il est tout à fait possible d'évoquer de tels noms au sein même d'un commentaire sur
Fleur pâle, c'est parce qu'ils se rejoignent tous en bien des points. Cette vague d'inédit et d'audaces à la pelle se situe aussi bien au niveau des aspects formels que narratifs, le penchant pour le rythme chez Suzuki et ses élans pop art remarquables de culot, le contexte alarmant et crépusculaire chez Oshima, la critique du capitalisme alliée aux audaces de ton chez Masumura, le formidable mariage de récit classique et d'audaces formelles bluffantes chez Shinoda et l'alchimie entre le classicisme revendiqué chez Misumi et son envie de moderniser son contexte (
Le Sabre est l'un des meilleurs exemples), tous se rejoignent plus ou moins sur le plan "nouveau", ou finalement ils trouvent tous un véritable équilibre entre une reconnaissance d'un cinéma passé et la volonté de tourner la page sans pour autant renier ses origines. Ici, Shinoda bouscule la donne en offrant à son polar des allures d'oeuvre délirante d'un point de vue formel et réussit à plonger le spectateur dans les abymes d'un polar résolument dark, où jeux, sexe et règlements de compte font bon ménage. Le cinéaste excelle aussi dans ces séquences qui n'apportent pas énormément au récit mais qui ont le mérite de le dynamiser "gratuitement" : les ballades et courses poursuites en décapotable, la superbe séquence du rêve de Muraki, les nombreuses séquences éclairées par des phares de voiture ou autres spots, la musique de Takemitsu à base de claquettes et de sons surréalistes, tout ici est à prendre, à garder en mémoire. A noter aussi cette fin d'une violence inouïe, terrorisante, sous la voix off de Muraki. Sûrement
Fleur pâle a t-il marqué bon nombre de cinéastes, sûrement
Fleur pâle est une grande réussite du studio Shochiku, mais une chose est certaine, ni rien ni personne n'enlèvera le caractère si particulier d'un cinéaste déjà en état de grâce.
Fleur précieuse
3 après un Affraid to Die signé Masumura inégal mais annonciateur de l’évolution vers le réalisme du film de yakuza, un autre cinéaste de la Nouvelle Vague, Shinoda Masahiro, réussit avec Pale Flower à donner sa propre vision du genre, annonçant à son tour par certains aspects les films de yakuza qui feront la gloire de la TOEI.
Il y a d’abord cette ouverture du film faite d’un montage haché, de caméras à l’épaule nous plongeant dans le tumulte des trajets en transports en communs de Tokyoites en route vers leur travail alors que l’on entend une voix off désabusée en contrepoint, voix off de ce yakuza sortant de prison qui sera le centre de l’histoire, voix off qui révèle la mort, l’ennui derrière le tumulte tokyoite et nous enjoint de faire la parallèle entre le monde des gangsters qui sera décrit par le film et celui des salarymen d’un Japon en plein décollage économique. Et comme si cette ouverture ne suffisait pas il y a la première scène dans la salle de paris qui montre Shinoda se réapproprier magistralement un des passages obligés du genre en le théatralisant à outrance : l’arrivée d’un yakuza qui vient juste de sortir de prison est filmée comme une entrée en scène, les paris de jeux comme un rituel extremement codifié tandis que le montage et les déplacements de la caméra dynamisent la partie, font monter crescendo la tension dramatique ; et comme si ça ne suffisait pas le score avant-gardiste d’un Takemitsu Toru ajoute une impression d’étrangeté qui théatralise encore plus la scène. A coup de zooms ayant gardé leur charme d’époque lors des scènes d’hippodrome, de caméras suivant de dos les personnages avec virtuosité, d’emploi inspiré de la focale, de caméras passant brusquement d’un personnage à un autre, de plans vus de haut de virées en voitures et d’une photographie faisant un usage pertinent des clairs obscurs, Shinoda démontre sa maitrise déjà présente du langage cinématographique et continue à étonner lors des scènes se déroulant dans les salles de paris en utilisant des plans en contrepoint d’un personnage se trouvant au fond de la salle pour faire monter la tension dramatique. Et si elles auront un objectif différent –réalisme, impression de pris sur le vif- on retrouvera certains procédés formels du film dans les films de yakuza de la TOEI.
Grande différence cependant avec les films de Fukasaku emblématiques de cette dernière compagnie : chez Fukasaku, la violence est volontairement exagérée là où chez Shinoda on voit peu de sang couler et des bagarres chorégraphiées, confirmant l’option de théatralité choisie par le cinéaste. Le film se permet meme des embardées quasi-surréalistes –la séquence du reve- ou à l’emphase assumée –le meurtre muet sur fond d’opéra-. Mais Pale Flower, c’est aussi le récit de la vie d’un individu sans repères, un yakuza dont l’ancienne maitresse est tentée de se ranger parce qu’un collègue de travail bon parti veut l’épouser mais demeure attachée à lui, qui raconte son plaisir à tuer sans justification de désir de survie ou de respect d’un code d’honneur tout en ne donnant pas une impression de jubilation lorsqu’il en parle, un etre qui accepte la fatalité de son destin qui dit de but en blanc qu’il va retourner en prison à celle qui l’aime, capable de parler de façon glacée d’un meurtre qu’il va exécuter et surtout à qui le fait d’etre en liberté ne semble rien apprendre de nouveau. La femme à laquelle il va s’attacher est une solitaire, un etre sans repères comme lui qui veut le suivre dans l’univers du jeu et se refuse à penser à demain, préférant le plaisir d’une virée en voiture. Il court vers un destin tragique –recommencer les memes erreurs- en en étant conscient et sans vitalité, prisonnier de la fatalité de son destin à la manière des héros de Buzzati. Et il y a cette fin quelques années après qui ajoute encore de la tristesse au récit.
Grand polar existentiel, film clé de la Nouvelle Vague japonaise, Pale Flower est tout cela, un film se situant à la conjonction d’un certain classicisme –la rigueur théatrale que Shinoda développera par la suite dans son oeuvre- et d’une modernité formelle –une influence documentaire-, sonore –le score de Takemitsu- et thématique –un dégout de l’existence qui a marqué tout un pan de la littérature du vingtième siècle-. Une fleur dont la paleur n’a d’égale que l’éclat cinématographique.
Seul contre tous
Très bon polar admirablement mis en scène par
Masahiro Shinoda de part son côté nouvelle vague. Sans oublier la photo du film absolument sublime.
Yakusa & nouvelle vague
Un yakuza fraîchement sorti de prison réintègre la vie civile. déconcerté par la politique de son gang, qui s'est rallié à son ennemi héréditaire, il est aussi happé par le monde du jeu qu'une jeune bourgeoise en mal d'aventures lui fait découvrir. Une grande réussite que cette Fleur pâle. Si le scénario ne brille pas par son originalité, la mise en scène brille en revanche de mille feux : quelle classe, quelle maîtrise dans l'utilisation de la grammaire cinématographique... Le film, par son ambiance et son sujet, peut rappeler l'excellente Baie des anges de Jacques Demy : c'est la nouvelle Vague à son meilleur
Adieu les fleurs! Adieu la vie!
La désillusion est imparable, la tristesse est la fin de toute chose, et si les fleurs naissent pour faner, alors rien n'a de sens. Le constat que pose Shinoda n'est pas réjouissant, loin de là! Mais il faut tout de suite dire que seule la beauté du film égale sa noirceur.
Le noir et blanc d'abord, traité avec une vraie maestria classique, une ampleur, une densité des contrastes qui fait plaisir au fan de film non-colorisé que je suis. Un scope classieux, des cadrages à la fois rigoureux, transparents et complexes à la fois.
Le montage, qui se permet plusieurs changements de ton au long du film: entre le début monté cut façon reportage, le rève surréaliste et la fausse fluidité du reste du film, il est une personne intégrante du film. Par son décalage (parfois infinitésimal, à tel point que l'audace ne transparait que très rarement explicitement à l'écran) il plonge le film dans une atmosphère étouffante où tout devient signifiant (l'importance des parties de cartes, les visages, les longs plans d'extérieur,...) et où tout concourre à renforcer cette étrangeté qui mène ses personnages à la conclusion que le monde exsude la vanité, jusqu'à la mort.
La musique: score formidable de Takemitsu, qui concoure à l'angoisse et à la distanciation perpétuelle. Le final sur le lamento de Didon (de Purcell pour ceux que ca intéresse) sur une séquence muette au montage alterné entre Muraki assassinant un homme et Saeko qui sembler s'éloigner au fur et à mesure. Un adieu à la vie déchirant qui prend la forme de la violence la plus extrème... encore une fois Shinoda nous coupe de cette réalité de la destruction en portant le drame ailleurs, dans la distance même, l'incohérence entre la musique et l'image, le drame et l'indifférence.
Kawaita hana est un très beau film. Film existentiel, sans doute. Drame de l'aliénation, de l'étarngeté, aussi, car, comme le spectateur, Muraki tente désepérément de saisir le sens de ce qui se passe, le sens du film et de sa vie. Mais shinoda, par un jeu de décalage successif nous laisse résoluement sur le carreau: quel est le sens? qu'était dans le fond Saeko? quelle importance? la vie ne fait jamais que nous fuir, ne fait jamais que faner quand on voudrait la saisir dans sa plénitude. Laissons donc aux ahuris le soin de comprendre, nous nous serons triste parce que la musique est triste, pour le reste, autant dire adieu dès maintenant au plancher des vaches.