La vengeance est un plat qui se mange non accompagné de tofu. Si possible sans esquisser un seul sourire à table, en se maquillant les yeux de rouge et en s'habillant avec son meilleur costume SM. Ah oui, ne pas oublier son sac à main où l'on y mettra tout ustensile de mort. Dernière chose, penser durant ses 14 ans de taule au meilleur plan de vengeance qui puisse exister. Ca aide. Regard triste, attitude clairement négative et bien décidée à ternir la fête, Geum-Ja vient de purger sa peine de 14 ans de taule pour la séquestration et le meurtre d'un enfant de cinq ans. Des accusations portées sans véritables preuves. Accueillit à bras à ouverts par une poignée de bouffons déguisés en père noël, cette dernière montre clairement qu'elle n'est pas sortit pour rigoler ou pour sabrer le champagne. On lui offre un tofu, geste de paix si l'on en croit les propos d'un imposteur de Noël au sourire maladroit, elle le refuse et brise alors sous nos yeux son envie de faire la paix et de redevenir un être comme les autres. Il faut dire qu'après à voir passé 14 ans de sa vie dans une prison pour femmes, co-habitant avec des cas bien particuliers (une adultère, une grosse truie cannibale, etc...), elle n'a qu'une envie, c'est de faire payer les fausses accusations portées sur elles. Elle connaît le coupable, mais ne l'a pas dit. Peut être avant même de purger sa peine, celle-ci avait déjà comme idée en tête de se garder le professeur Baek rien que pour elle, histoire de lui donner la mort quand l'heure sonnera. Une stratégie déjà fort bien mise en place, en prison, où Geum-Ja exerçait déjà dans les morts sur commande. La grosse truie cannibale ne savait même pas qu'on lui versait de la javel dans ses plats depuis 2 ans, finissant par crever par un dernier rot. Elle l'a bien cherchée. Rappelons-nous qu'elle accueillait chaque détenue par un "dis bonjour à ma chatte" des plus classieux. Au passage ce n'était pas qu'un bonjour...
En retrouvant une de ses amies de taule, Geum-Ja est bien déterminée à préparer ses actes de morts.
"- Pourquoi te maquilles-tu les yeux en rouge? - Parce que je ne veux pas avoir l'air gentille".
Tout est dit. Pour structurer au mieux son récit, PCW use de flash-back importants et intéressants, ayant pour principal but de nous éclairer sur la haine portée à l'égard de Geum-Ja pour un crime qu'elle n'a pourtant pas commis. Pendant la scène de reconstitution du meurtre, incroyablement hystérique où la folie des journalistes prend une ampleur démentielle lorsque Geum-Ja pose le coussin mortuaire sur la tête du petit mannequin. Les journalistes se grimpent dessus, les flashs crépitent, les corps tombent à la renverse, pendant que Geum-Ja, totalement désemparée par les événements écrase le coussin sans savoir pourquoi. Une scène tout bonnement formidable. Geum-Ja a oublié qu'elle avait une fille, et qu'elle dû s'en débarrasser durant son séjour en taule. Placée en Australie, elle décide d'aller la voir, et de la sortir de sa famille d'adoption. L'occasion de dévoiler les délires grotesques, gorgés d'humour noir de PCW lorsque la petite menace de s'égorger si elle ne retourne pas à Séoul. Hallucinante de noirceur. Lady Vengeance prend alors une toute autre tournure une fois tous les éléments posés et parfaitement ancrés dans cette formidable histoire de vengeance. Finalement, Geum-Ja n'est pas celle que l'on pensait. Elle n'est que le pion de la mise au point du plan. Elle le comprend, elle prend son temps. D'abord, elle retrouve le professeur Baek, bourreau d'enfant. Elle prendra soin de lui concocter des petits plats -entre une séance de baise barbare au repas- agrémentés d'une potion maléfique. Le type tombera raide mort de sa chaise. C'est à ce moment qu'on croit que l'histoire est finit, que la boucle est bouclée. Pas de pot, il reste 30 minutes de pellicule. Ce n'était qu'un leurre, juste utile à endormir la victime avant de passer aux choses sérieuses.
Première partie du plan, trouver les familles et leur faire visionner les vidéos de non pas un enfant, mais des cinq enfants tués par Baek. Des vidéos snuff, à la limite de l'insoutenable. Des bruits, des pleurs, des appels aux parents, on ne voit pas, on entend juste les gosses. Finalement non, PCW pousse le vice jusqu'à montrer des bouts des mini films tournés par le professeur. L'horreur survient quand un des enfants, cagoulé et débout sur une chaise n'a que quelques secondes à vivre avant que le professeur tire sur la corde fatale, faisant tomber la chaise. On ne verra pas l'enfant tomber, et dieu merci, seulement sa mère qui assiste à cette douloureuse projection. Quoi de mieux finalement pour attiser la haine des principaux concernés? Surtout quand le tueur se trouve à l'étage du dessus, ligoté sur une chaise de mort.
Deuxième partie du plan, le dénoncer à la police et le juger, ou alors terminer le boulot soi même? C'est dans une ambiance d'une noirceur redoutable, quasi ironique que PCW filme son théâtre de mort, bercé par les cordes d'un piano de la Renaissance. Une ironie palpable dès le début, PCW ne nous avait presque pas habitué à tel châtiment. On pourrait d'ailleurs comparé ce théâtre de mort, où les parents, sereins, discutent des diverses façons de tuer le professeur Baek, dans des décors et une atmosphère, non sans rappeler Salo de Pasolini. La comparaison est franchement évidente. Régler son affaire par la violence n'est clairement pas le meilleur choix, disons pas le plus moral, mais a le mérite de soulager les parents des défunts enfants. Le sort du professeur est alors scellé, il finira totalement massacré par les bourreaux. Totalement chanmé.
Geum-Ja, organisatrice, presque directrice des ébats mortuaires des parents a remplit sa mission. Tout comme PCW qui vient de clore sa trilogie.
Dans un dernier plan, riche en symbole, la fille de Lady Vengeance a elle aussi apporté du tofu. Rappelez-vous, le geste de la paix en tout début de métrage. La petite y goutte et en propose à sa mère. Geum-Ja, hésitante, ne dira rien et semble refuser. Pourtant son plan est terminé, elle n'a plus aucune raison de ne pas partager ce fromage de paix. "Soit blanche" dit-elle à sa fille. Dans une nuit noire, seule les flocons de neige éclairent le cadre de bien belle manière. La petite tend la langue et récupère quelques flocons. Comme c'est délicieux. Geum-Ja regarde vers le ciel, signe du destin, réfléchit presque en larme, et dans une furie plus que communicative, plonge sa tête à même le tofu et le dévore, sa fille la rejoignant et la serrant dans ses bras. Brillante conclusion de la part de PCW, pour un film en tout point extraordinaire. Il y a du Female Scorpion dans Lady Vengeance. Cette même froideur, glaçiale, presque tétanisante, on pourrait presque y puiser du Lady Snowblood, la neige faisant partit intégrante de l'espace et des décors. Mais on ne va pas se risquer à telle comparaison, l'oeuvre de PCW étant tout de même bien différente. Presque un drame famillial, proche d'une farce tragique, ironique et noire comme la mort à l'approche terriblement douloureuse. Le film fait mal et ne rigole pas, quoi que l'on en pense.
Esthétique : 4.75/5 - Extraordinaire mise en scène, esthétique foudroyante. Qu'est-ce que c'est beau. Musique : 4.75/5 - Ironique et souvent emportée par des élans lyriques à s'en damner. Interprétation : 4/5 - Pleine de justesse et de nuances. Notre lady vengeance est belle. Scénario : 4.75/5 - Scénario classique, mais a contrario d'un Old Boy, l'ensemble est mieux structuré.
Débutant assez bizarrement sur la sortie de Geum-Ja de prison, le film enchaîne très rapidement des « flash-back », et mélange les événements pour introduire la situation. Ainsi, Lee Geum-Ja, une femme de 34 ans, sort de prison après avoir purgé une peine de 13 ans pour l'enlèvement et le meurtre d'un garçon de 5 ans. On se rend compte assez vite que, même si elle a avoué le meurtre, elle n'en est pas (entièrement ?) responsable. C'est pourquoi, en prison, elle devient une détenue modèle, aimée de tous, qui part se venger dès sa sortie. D'un coté, l'histoire semble plus compliquée que les deux précédents films sur la vengeance de Park Chan-Wook ; en effet, elle est plus développée, et la vengeance à froid terriblement réfléchie pendant des années nécessite un traitement assez lourd pour être bien compréhensible, alors que les deux précédents étaient, pour Sympathy for Mr Vengeance une vengeance à chaud, brutale, et dans Oldboy une sorte de haine viscérale qui fait remonter l'homme à la source de ses malheurs. Mais paradoxalement, Lady Vengeance est plus direct, moins complexe, dans le sens où les autres étaient chacun une vengeance à double sens, où on ne savait plus vraiment qui avait tort ou raison. Geum-Ja n'est pas difficile à comprendre dans sa personnalité ; on sait d'entrée qu'elle n'a pas tué l'enfant même si on ne sait pas pourquoi elle a avoué, et on ne peut que être avec elle dans son envie et son besoin de vengeance. Donc on suit tout son périple pour remonter à la source de ses malheurs, espérant qu'elle ne fasse pas un faux pas.
Park Chan-Wook n'hésite pas à angéliser Geum-Ja, la faisant rayonner pour montrer que tout le monde dans la prison la voit comme une gentille femme (« gentille Geum-Ja » dans le titre – ou « Geum-Ja au grand coeur » dans la traduction) qui n'aurait fait de mal à personne. Cette image est vite balayée lorsqu'elle sort de prison et envoie balader le pasteur, lançant le mystère sur la manière dont elle souhaiterait s'y prendre pour sa vengeance. Lee Young-Ae est terrible, méconnaissable. Elle change énormément de l'officier de JSA. D'ailleurs elle a du forcer un peu sur l'accent coréen quand elle parle anglais ; on croirait presque qu'elle est vraiment mauvaise dans cette langue. Par contre la jeune fille qui joue le rôle de la fille de Geum-Ja est plutôt étonnante. Dans l'histoire adoptée par une famille australienne, elle parle évidemment anglais, et on pourrait penser qu'elle ne parle que cela, jusqu'au moment où elle sort une tirade dans un coréen parfait. Et en plus, elle joue très bien. A coté du finalement assez petit rôle de Choi Min-Shik, on peut noter la tonne de caméo sorti des deux autres films de vengeance de Park Chan-Wook.
Finalement je ne trouve pas que Lady vengeance soit tape-a-l'oeil, comme certains pensent des films de Park Chan-Wook ; c'est bien filmé, bien joué, quelques rajouts de mise en scène mais rien de spécialement très technique. Par contre il prend par les sentiments, et est très bien raconté ; l'histoire est limpide ; d'ailleurs elle se démarque pour cela des deux autres ; PCW n'a pas essayé de nous montrer un truc sombre où on ne sait plus qui a raison ou tort, ou si tout le monde a tort et raison ; on sait d'entrée que Geum-Ja a tout subit et sa vengeance en devient légitime, et on est plongé dedans. Beaucoup de sentiments, aucune embrouille, c'est vraiment le film qui manquait pour compléter le thème de la vengeance : un vengeance clair et divine : tout le monde se rassemble autour d'elle pour qu'elle accomplisse son objectif et récupère ce qui lui revient de droit moral, et sa bénédiction efface automatiquement tous les obstacles de sa route. Somptueux
Pour apprécier à sa juste valeur ce petit bijou noir, mieux vaut appréhender le film le plus vierge possible de toutes les rumeurs et révélations qui l’entourent (donc de ne pas lire les différents avis et se forger sa propre opinion). Car depuis le somptueux Oldboy et le court métrage magistral contenu dans Three : Extremes, Park Chan-Wook cultive un style unique dans le paysage cinématographique mondial – qu’on est libre de considérer comme de l’esbroufe ou d’admirer sans complexes –, composé d’esthétique à outrance et d’idées pas toujours très saines noyées dans un humour noir décapant et des rebondissements savamment dosés. Dans Lady Vengeance, il y a des en effet une idée de mise en scène à la minute, des gros plans aberrants, des cadrages en contre-plongée énormes, des jeux de flous très bien pensés, une beauté de l’image incontestable comme durant cette magnifique scène finale contemplative sous la neige. Il y a également des idées de narration géniales avec ce mélange de flash-backs dans la première partie du film, un scénario qui semble décevoir lorsque la vengeance est sur le point d’être réglée, puis qui rebondit de plus belle dans une deuxième partie complètement inattendue et totalement jouissive, des scènes qui prennent aux tripes comme la reconstitution du meurtre de l’enfant avec un oreiller, les réactions choquantes et émouvantes des parents lors de la vision des vidéos de leurs gosses assassinés, ou encore cette incroyable séquence de vengeance collective et assumée qui squizze toute intervention judiciaire pour redonner un bref instant le dernier mot aux victimes, celles qui sont trop souvent oubliées ou marginalisées dans une société qui donne peut-être un peu trop d’importance aux bourreaux. Si ce défouloir sanguinolent n’apporte pas le rédemption attendue par Geum-ja, elle lui permet au moins – ainsi qu’à tous ses compagnons de galère – de faire la paix avec elle-même et de tourner la page, si tant est qu’elle puisse l’être. Une morale grinçante qui rappelle celle de Seul contre tous, menée d’une main de maître par un talentueux metteur en scène qui arrive à nous faire accepter l’inacceptable…
Sous couvert de parler de vengeance et d’une rédemption pour laquelle une part de tofu reflèterait la blancheur immaculée, tout ceci sonne un petit peu faux et semble même un petit peu vain. Ah le petit vain blanc ? Celui-là même que l’on boit sous les tonnelles quand les filles sont belles du côté de Séoul, en particulier une LEE Young-Ae toute de cuir vêtue dont la beauté domine largement ses complices ex-taulardes qui, en plus de cligner fortement de l’œil aux femelles dardées d’ Elle s'appelait Scorpion, sont « fleuries mais rougissent » devant la splendeur de leur dominatrice de sorcière. Aux crises exacerbées japonaises des films d’exploitation des 70’s, dont les symptômes étaient – pour rappel - cris de femmes, tremblements et suées suivant émasculation de flic ou obligation pour une traîtresse de pisser devant tout le monde, PARK Chan-Wook préfère nous exposer une femme fulminant de l’intérieur qui jamais ne craque ni ne se lâche, hurlant sa rage à ses propres entrailles ainsi qu’à celles de sa victime plutôt qu’à la face du monde. Et le monde, c'est nous.
Sa maladie est calme, à ce point effrayante qu’elle en devient drôle, la porteuse de microbes nous emportant avec elle lorsqu’au sortir de prison elle dit un très doux : « allez vous faire f... » à une bande de sinistres bondieusards pseudo bienfaisants pour un peu plus tard lâcher un stoïque « J’ai encore prévu de tuer quelqu’un » à un collègue tout en lisant son journal, mémère, dans un café. L’humour est très présent, à ce point que le spectateur prendra un net recul devant ce spectacle, s’amusant de ces enchaînements impossibles de passages grotesques, qu'ils soient réussis (1) ou non (2). Lady Vengeance n’est pas tout à fait Old woman mais reste une bisserie de luxe esthétiquement superbe, à la BO belle œuvre, un bordel ciselé où la torture prédomine en tant que plaisir des sens. Comme le vin tiens. Mais le rouge cette fois.
(1) C'est le cas de ce rêve où CHOI Min-Sik a une tête d’homme et un corps de chien de traîneau coincé... dans le traîneau.
(2) Lorsque ce même CHOI Min-Sik, menacé d’un flingue customisé, sert de traducteur coréen-anglais à notre lady Vengeance essayant d’expliquer à une très jeune anglaise qu’elle est sur le point de le zigouiller. Plus que borderline cette loooongue scène gratuite.
(ceci est presque un spoiler).
Le film est bien le dernier volet annoncé de la trilogie. On retrouve l’équipe d’Old boy (dont l'excellent chef opérateur Jeong) et son réalisateur plus incisif, plus virtuose encore....à d’autres égards plus affecté ou manipulateur.
Il faut pourtant retenir le titre coréen plus ambigu et bien plus révélateur.
Car si Park Cw met à nouveau en scène les figures de son propre cinéma (vengeance, filiation, rédemption), il débarrasse son film de tout pathos et du déterminisme qui semblait peser sur ses personnages.
Geum-ja est ici le centre de gravité d’un film où la vengeance fonctionne comme un pur principe moteur.
‘Gentille’ ou ‘Sorcière’(cf 3.) selon la pose, la façon dont elle occupe le plan et personnage si insaisissable, si ambivalent, que même les gens qui la connaissaient en prison s’interrogent: Geum-ja as-tu changé ? C’est parce qu’elle est toute entière à la vengeance qu’elle s’est choisie (un autre rêve dans la neige, surréaliste) et qu'elle ‘garde le meilleur pour la fin’.
La structure qui enchâssait les récits de Park ( quelque chose de la tragédie ou du western) est réduite à presque rien, au canevas d’un mauvais polar.
Pour accomplir sa revanche, Lady V a besoin d’une planque (salon de coiffure pop qui rappelle la cellule d'Old boy), d’un flingue (idée géniale d’une espionne nord-coréenne), d’un contact (Lee Seung-shin, double étrange de Geum-ja, qui trouve un rôle dans le prolongement d’Old boy, hypnotiseuse et maîtresse des rêves.) et d’un emblème parce qu'il faut du style avant tout.
Autant de scènes et de personnages prétextes qui ne sont que les faire-valoirs de Geum-Ja.
Même Choi Min-sik- c'eut été prendre le risque d’éclipser la prestation de Lee Young-ae- n’a pas un rôle d’une grande latitude: il est le négatif abjecte de Geum-ja, l’incarnation brutale du mal.
D’ailleurs, le cinéaste se méfie à ce point du jeu de Lee Young-ae qu’il le pousse à la performance : de l’ange en prière au démon, de l’adolescente désemparée à la mère indigne, de l’ingénue à la froide calculatrice, de la compassion au meurtre.
Park a retenu les leçons de la série noire. Lady V. un peu comme le P.Marlowe de Chandler déroule, toujours en avance sur ce qu’on en devine, le plan inexorable de sa vengeance depuis le jour où elle endosse le rôle de la criminelle (superbe scène de reconstitution) jusqu’à celui du jugement dernier, hommage à rebours au Crime de l’orient Express.
Le montage, précis et nerveux, distille les informations et fait tenir l’intrigue non seulement sur les origines de la vengeance mais sur Geum-ja elle-même. Les indices d’habitude si essentiels au polar (non pas des raviolis) ne servent plus à dénouer les fils de l’histoire.
Si bien que Geum-ja devient une espèce de figure omnisciente, déesse auréolée de lumière en prison, Némésis confiant aux humains le soin même du châtiment… figure non pas sans humanité mais quasi infaillible; en témoigne, cet autre morceau de bravoure, sans marteau cette fois, kidnapping rejoué et superbe scène rythmée par le son on-off d’une radio.
Park est un cinéaste de la séquence, s’essouffle au delà. Incarnant(/désincarnant) enfin un personnage, il trouve un dispositif qui (s'il ne le légitime) autorise le cinéma baroque et sur-signifiant pour lequel il excelle.
Et Park, de faire alors l’étalage de son savoir-faire, usant et abusant des courtes focales, des contre-plongées, jouant sur la texture de l’image, les couleurs (le film va de la saturation au monochromatisme), les décors kitch jusqu'à en abstraire ses acteurs.
Et de retomber dans les travers qu'on lui connaît, cherchant l'effet ou l'aphorisme dans le plan, manipulant les symboles (religieux …etc.) jusqu'à les vider de leur sens.
Aussi ne peut-il s’empêcher de choquer le petit bourgeois (certes.. on attend la fin du repas), d'user d’effets visuels presque terroristes (raccord sur la chaise du pendu, facile un pays qui découvre le cocooning à l’américaine) et nous ressert au final la mauvaise théâtralisation du morbide de Tree Extremes.
Si le film peut paraître de ce point de vue assagi, il est plus découpé, éclaté par les ruptures de ton et de rythme. Les séquences fonctionnent bien souvent comme des éléments hétérogènes.
Au moins stylistiquement, car comme dans ses précédents films, singeant une certaine modernité au cinéma, Park ratisse large, convoque les esthétiques de Fincher et de Lynch, allant du surréalisme à Terry Gilliams, avec quelque chose de Fritz Lang, on ne sait pas bien.
Mais, si le plan revient, l’expressionnisme ne se résume pas à une rue sombre, un escalier et une lumière violemment découpée (et même si le jugement est public, on ira pas chercher ‘M’ le Maudit ).
L'excès joue pourtant en sa faveur, on perçoit tellement d’influences mêlées qu’il arriverait presque à s’en affranchir.
Le casting ne nous épargne d’ailleurs pas l’inventaire systématique de ses précédents films (cf 6.) mais Park refait certaines interactions, joue le contre-emploi. Il y a quelque chose d’un peu facile mais d’évidemment jubilatoire à voir Shin Ha-gyun et Song Kang-ho les anciens ennemis de Mister Vengeance jouer les seconds couteaux foireux pour Choi Min-sik ou encore OH Dal-Su le gangster à la mâchoire refaite d’Old Boy (et bien souvent employé de la sorte dans le cinéma coréen: Crying Fist) jouer un chef pâtissier sensible aux talents de maîtresse de maison de Geum-ja.
Le score remplit en un sens le même office: ses thèmes presque pop, joués baroque, prolongent les violons d’Old Boy (mais on passe à Paganini, ‘le violon de diable’) tout aussi illustratifs bien souvent mais plus prégnants, plus sombres.
Le cinéma de Park fonctionne un peu comme du papier tue-mouche, cinéma d’éclats et de reflets, tout sauf naïf, qui se joue de nos réflexes visuels et d’identification aux personnages, de nos habitudes de pensée et de cinéma (de son cinéma) et ne nous emmène nul part, heureusement pas à une réflexion sur la loi du talion ou sur l’image.
A-t-il vraiment abandonné cette prétention ? Parce que s’il ne nous emmène nul part, il ne s’y prend pas si mal.
1.
Park semble s’être inspiré d’un personnage bien réel : Kim Hyun-hee (Mayumi sous son nom japonais) particulièrement pour cette scène où Geum-ja, masque sur le visage et entourée de deux policiers, est assaillie par les journalistes.
Son histoire n’est pas sans ressemblance avec celle de Geum-ja:
Novembre 1987, un avion de ligne de la Korean Air explose en plein vol faisant 115 victimes.
Mayumi est accusée d’avoir participer à l’attentat qu’on croit commandité par la Corée du Nord.
Extradée depuis Berlin, le pays entier découvre à sa descente d’avion, le visage de cette fille qui n’a que 20 ans.
La presse s’interroge sur la possibilité qu’une fille aussi jeune puisse réellement être une terroriste.
Mais cette histoire ne servait que trop bien les intérêts politiques du gouvernement militaire de l'époque, les causes l’attentat et l’implication véritable de Mayumi n’ont jamais été vérifiées. Aujourd’hui encore les parents des disparus demandent à ce que le dossier soit réouvert.
2.
On offre par superstition un morceau de pâte soja "d’une blancheur virginale" à ceux qui sont libérés de prison.
Cette scène d’ouverture symbolique appelle dans le film celle finale du gâteau et de la neige.
3.
Le titre provisoire du film était 'Yi Geum-ja la sorcière' ( 마녀 이금자) mais bien trop proche du projet à venir de Yi Hyun-seung 'Kim Choo-ja la sorcière'.
C’est Choi Min-sik qui est à l’origine du titre définitif, il avait proposé un titre similaire à Song Hae-sung ‘chin jul han Gang-jae ssi (강재)’ qui avait finalement conservé celui de Failan.
4.
Lee Young-ae est connue en Corée moins pour son apparition dans JSA que pour le rôle de Jang-Geum dans la série télévisée du même nom.(Dae Jang-Geum : aka ‘Jewel in the Palace’). Elle y interprète une cuisinière qui devient le médecin du roi…
Park nous donne dans le film une autre version, plus diabolique (!! ) de cette Jang-Geum là.
5.
Jolie trouvaille, la voix de la narration est faite par Kim Sae-won célèbre animatrice de radio, doublure de beaucoup de films et donc voix ‘over’ coréenne par excellence.
6.
Dire si la première projection de presse en Corée était un rendez-vous mondain, il faut pourtant une certaine attention pour dénicher les caméos de luxe.
En autres passages éclairs, n’apportant pas toujours quelque chose au film:
.Gang Hye-jung la fille de Choi Min-sik dans Old boy, en présentatrice des infos.
.Yun Jin-seo, la soeur de Yu Ji-tae dans Old boy, en co-détenue de Geum-ja.
.Oh Gwang-rok, le suicidé au caniche d'Old boy, joue le père d'un enfant kidnappé.
.Ryu Seung-wan, un simple passant.
A noter un petit rôle surprenant : Im Soo-gyung, ‘la fleur de la ‘réunification’, qui s'est rendue célèbre en étant le première représentante de l’association politique des étudiants (Jun Dae Hyup) à traverser la frontière pour rallier symboliquement Pyongyang (1989). Elle a été emprisonnée à son retour pour avoir enfreint la ‘loi de sécurité nationale’.
Elle interprète dans le film, non sans une certaine ironie de la part de Park, une gardienne de prison qui présente Geum-ja à ses co-détenues.
Avis avec SPOILERS
Lady vengeance est un Park Chan-wook souffrant de bâclage scénaristique et d'avoir approfondi les travers d'un Oldboy plutôt que ses qualités. Certes, on ne peut pas reprocher au cinéaste de se reposer sur une formule gagnante. Le film comporte moins de scènes choc que ses deux précédents et tourne le dos aux twists à répétition et à la narration speedée d’Oldboy. Cela ne l'empêche pas d'être raté.
Il y a d’abord cette tendance à vouloir faire auteur en faisant dans l’autocitation intégrée artificiellement à son scénario. Kidnapping Sympathy for Mr Vengeance, Choi Min Sik aboyant comme dans Oldboy, gamin étouffé par un sac Sympathy for Mr Vengeance encore, chantage au doigt coupé Cut !… Et puis cette façon de reprendre le casting de ses films précédents juste pour faire une apparition gadget en contre-emploi : le cameo de Song Kang Ho dans un rôle inverse de celui de Sympathy for Mr Vengeance par exemple. Formellement, le travail sur le cadre et la composition des plans fait dans l’esthétisant. Et Park Chan-wook a tendance à reprendre des principes de mise en scène ou de dispositifs déjà vus ailleurs pour les transformer en pur gadget. Ainsi par exemple ces éclairages expressionnistes juste pour faire joli ou cet usage répété de séquence où les personnages semblent s’adresser au public juste pour faire progresser la narration dépouillés de la théâtralité autour de laquelle ils se construisaient dans un certain cinéma d’auteur européen. En plus de mal recycler les autres, Park Chan-wook s’autorecycle mal. Un score classique y est surutilisé de façon pompière. Des principes de mise en scène de ses films précédents se retrouvent réemployés. Mais leur réutilisation vire au pur effet de manche aussi gratuit que la référence hors de propos à Naruse.
Détail révélateur : on retrouve ici du plan impossible à la Panic Room confirmant une poursuite de la direction de Cut !. La virtuosité formelle semble désormais être une fin en soi pour le cinéaste. Certains passages –le nuage dessinant des mots en anglais, Choi Min Sik trainé dans la neige, le final- auraient très bien pu faire office de spot publicitaire. Le script se traîne quant à lui en longueur avant que la vengeance soit effectivement réalisée sans offrir de personnages dignes de ce nom et sans creuser les rapports existant entre eux. Et Park Chan-wook préfère utiliser les symboles –le blanc du tofu et de la neige symbole de pureté, le rouge du maquillage des yeux de Geumja incarnant le mal…- plutôt que de creuser vraiment les questions de la rédemption et de la schizophrénie de son personnage principal. La scène du «procès» et celle de l’exécution finale de la vengeance sont d’ailleurs navrantes de ridicule. Qui plus est, le cinéaste se place toujours à distance exclusivement cynique de son sujet et de ses personnages tel un cousin coréen du Lars Von Trier des mauvais jours. Seuls les acteurs sauvent le film du désastre total.
En voyant Lady vengeance, on ne retrouve même plus le mélange de brillant et de gâchis des deux opus précédents de la trilogie de la vengeance. Car au trop en faire s'est substitué le trop bâclé.