Vivre pour deux
Il est parfois des choix que l’on paye cher. En retournant à ses activités politiques, Hyun-joon, jeune militant socialiste, perd définitivement la femme avec qui il vivait depuis plusieurs mois une histoire d’amour passionnée. De cette période, où les idées pour lesquelles il se battait faisaient sens, ne demeurent désormais plus qu’un vieux jardin, une pile de cahiers et quelques toiles. Il aura fallu dix-sept ans à Hyun-joon pour pouvoir enfin rejoindre la maison de sa bien-aimée. Il lui faudra deux semaines pour vivre enfin ces années où le temps s’est arrêté.
Comme les toiles entreposées dans cette maison coupée du monde, le film se fait témoignage d’instants recouverts par la poussière de l’oubli. La fissure dans l’existence de Hyun-joon met en évidence le contraste entre deux époques pourtant peu éloignées et révèle le caractère insignifiant d’une vie qui s’arrête face à l’écoulement du temps. Le monde change. Hantant cette maison qui fut leur refuge, Yoon-hee dévoile au fil des pages ces instants du monde qu’elle n’a pu partager avec son amant d’autrefois.
Si la mécanique du souvenir mise en place par Im Sang-soo frappe par sa capacité à mettre en évidence l’intensité poignante du regard d’un homme sur les fragments de son passé, Le Vieux Jardin souffre malheureusement d’une esthétisation abusive qui contribue à instaurer un sentiment de rupture avec les œuvres du passé. Alors que le surgissement de la violence appuie l’adoption soudaine d’un point de vue critique habituel chez l’auteur, le film est plombé dans ses derniers instants par une conclusion trop convenue qui en devient pénible.
Le Vieux Jardin n’en reste pas moins un magnifique portrait de femme et un témoignage enrichissant sur une période critique de l’histoire coréenne.
Un peu déçu par une deuxième partie faiblarde
Il est toujours peu évident d'adapter un roman de 700 pages en un film de moins de deux heures. Il y aura évidemment des coupes radicales sur l'histoire, et la personne qui a lu le roman les remarque immédiatement, mais ici n'est pas vraiment le problème. S'il est vrai que j'ai lu le roman de Hwang Sok-Yong, je ne jette pas la pierre sur le choix de Im Sang-soo d'avoir voulu tronquer de grands pans de l'histoire. Je dirais même qu'il a été très raisonnable dans ses choix, en supprimant ce qui, objectivement, n'était pas indispensable, tout en étant pour autant très intéressant. Par exemple, on apprend dans le film que Yun-Hee est partie cinq an en RFA (Berlin ouest*) ; Hwang Sok-Yong dévoile tout le déroulement de ces cinq années, très importante quant à la psychologie de Yun-Hee, mais qui n'est pas nécessaire par rapport à ce que Im Sang-Soo cherche à pointer. Bref, dans cette histoire, qui débute par la sortie de prison d'un militant après 17 ans d'emprisonnement, on voit cet homme, Hyeon-Wu, se plonger dans les écrits de la femme qu'il aimait, décédée 3 ans avant sa sortie de prison. Il se remémore ainsi tous les moments qu'ils ont passés ensemble alors qu'il était en cavale, puis la vie qu'a vécu sa copine depuis son emprisonnement.
Toute la première partie, où les deux amants vivent cachés au fin fond de la Corée est totalement exceptionnelle. D'une intensité incroyable, on y croit jusqu'aux bout des ongles tellement la relation entre les deux personnages est forte. La musique est parfaite, les interprètes sont géniaux, et la concordance de l'histoire avec le roman est presque totale, dans le ton qui y est mis. Mais là où ça se gâte, c'est à partir de l'arrestation de Hyeon-Wu ; alors qu'il s'était conforté jusque là à photocopier le roman de manière grandiose, Im Sang-Soo commence à prendre ses libertés, et on se retrouve face à une seconde partie inégale et bancale. Même s'il respecte la trame général de l'histoire, il y apporte certains points un peu étonnant, surtout dans les comportements des deux activistes qui la convainquent de les aider. En outre, le personnage de Yong-Tae, dans le roman, a été remplacé par Young-Jak, qui rappelle le mari avocat dans le précédent film de Im Sang-Soo, Une Femme Coréenne. C'est d'ailleurs ce que révèle le réalisateur, en expliquant qu'il n'aimait pas le personnage originel. Les acteurs de ces personnages secondaires sont d'ailleurs charmant, mais la mise en scène a tendance ôter de leur interprétation la profondeur dramatique de l'histoire.
Pour revenir au thème de l'histoire, Im Sang-Soo capte bien tout le fond des manifestations étudiantes des années 80 et la débâcle après les "Printemps de Seoul" (qui s'est achevé sur les massacre de centaines de civils par l'armée à Kwangju en 1980), grâce à des scènes de manifestation tournées à la manière d'un reportage de JT, sur le vif, et particulièrement choquantes (des manifestations qui se déroule durant les années 80, c'est à dire après le massacre). C'est de ce point de vue un bon complément à des films comme A Petal et Peppermint Candy qui aborde les points de vue respectivement de témoin et de militaire pendant le massacre. Mais ce qui manque, à mon gout, c'est qu'on ne parle pas de la déception des militants après la démocratisation (à part dans une courte scène au début du film qu'on oublie très vite) ; alors qu'ils cherchaient à créer un état socialiste pour remplacer le gouvernement militaire de ce temps, la démocratisation fut finalement issue de la négociation du gouvernement en place avec les Etats-Unis pour s'achever sur la première élection à suffrage universel de la République de Corée. Ainsi, les militants ont un sentiment de défaite, et pensent qu'on leur a donné une démocratie aseptisée pour calmer tout le monde (et recevoir les JO).
Finalement, dans son raccourcissement, Im Sang Soo arrive à bien cibler les points essentiels, mais perd tout de même un thème important de l'histoire, tout en réalisant une seconde partie en demi-teinte face à un début qui fonctionne à merveille, grâce à une alchimie qui s'opère très bien entre les deux acteurs. Enfin, je suis horriblement déçu par la fin, avec la fille qui ne ressemble pas à grand chose, et ne correspond pas du tout à l'image qui en est faite dans le roman de Hwag Sok-Yong(**).
En outre, je tenais à préciser, qu'après une deuxième vision du film, j'ai pu le voir avec plus de recul par rapport au roman, et ai mieux perçu les points d'articulation dans l'oeuvre de Im Sang-Soo ; par contre, j'y ai trouvé la première partie moins puissante qu'à la première vision.
SPOILERS : je mets ici quelques points par rapport au roman qui peuvent vous gâcher la vision du film si vous les lisez avant.
(*) Par rapport au passage de Yun-Hee à Berlin, où elle a un amant et assiste à la chute du mur en 1989, une anecdote intéressante est la rencontre avec un jeune nord coréen, après la chute du mur, qui se perd dans Berlin ouest et finit par leur demander de les accompagner à l'ambassade de la République de Corée pour faire une demande d'asile. Là, les trois sud-coréens arrivent, par preuve de pragmatisme, à le convaincre de ne pas le faire, et de retourner dans son dortoir (en fait il avait peur des représailles comme il était absent plusieurs jours) et leur expliquer honnêtement les raisons de son absence, afin d'éviter de poser des problèmes à sa famille.
(**) La fin du film montre la rencontre entre Hyeon-Wu et sa fille. On y voit le contraste entre la mère, militante, qui aurait tout fait pour sauver son pays de la dictature et de cette démocratie négociée, et la fille qui, par sa façon de s'habiller et de se comporter, est complètement intégrée dans cette nouvelle société. Ce qui est gênant, c'est tout d'abord sa relation avec son père ; on dirait, là, qu'elle en a un peut rien à faire de le voir (limite "pfff qu'est-ce que je fous avec ce vieux"). Les dialogues de la dernière scène sont quasiment mot pour mot ceux du roman, à une différence près. Dans le film, au moment où la fille s'en va, elle disparait (littéralement), et on se rend compte que la rencontre, où la fille est d'ailleurs très enjouée et contente de le voir, n'est en fait que la rencontre idéalisée que le père s'imagine. Il ne rencontre en fait jamais sa fille (enfin pas dans le cadre de l'histoire).
Désillusions et temps perdu
Il faut reconnaître à Im Sang-soo le mérite de traiter de sujets polémiques là où d’autres, par manque de courage ou par choix artistique, restent plus consensuels. Dans Le Vieux Jardin, il évoque l’engagement politique de militants de gauche qui ont cru dans un idéal de société dans les années 80 en s’opposant au régime en place avant de se faire violemment remettre à leur place. Et des années plus tard, après un passage par la case prison, certains se demandent si leur engagement en valait vraiment la chandelle tant le résultat est décevant : des morts inutiles, des histoires d’amour gâchées, des petits plaisirs de parents perdus, bref de la frustration et des regrets. Avec ce film, Im Sang-soo s’affirme en tant que portraitiste de femme forte après Une Femme Coreenne, et marque les esprits en faisant revivre une révolte étudiante sanglante avec une dimension de l’absurde voire du grotesque particulièrement troublante.
Histoire d'un passé
Malgré une scène de fin trop optimiste pour paraître sincère et de surcroît, crédible,
Le vieux jardin contient suffisamment de scènes fortes (l'immolation de la jeune étudiante, une superbe séquence d'amour...) pour rester ancré dans les mémoires. Im Sang-Soo maîtrise son espace temporel de bien belle manière en offrant ainsi au spectateur un large panel d'histoires passées et présentes, construites de manière à les rendrent cohérentes et -heureusement- faciles à suivre. Belle prestation de Ji Jin-Hee, plein de maturité lorsqu'il incarne son personnage de la vie présente, ainsi que Yeom Jeong-Ah que l'on avait pu voir entre autre dans le rôle d'une belle mère démoniaque dans
Deux Soeurs. Son portrait est bien tissé, démonstration d'une femme forte dans un contexte réactionnaire et totalitaire d'une Corée du Sud alors en plein chaos politique.
Le vieux jardin tient aussi toutes ses promesses par le biais d'une mise en scène posée et travaillée, comptant de jolis plans à son actif (oh la belle neige du dernier plan!) même si certains effets visuels font tâches (le rendu du feu assez raté) et cassent un chouya l'ambiance dramatique du métrage. Passons outre, et écoutons ce que Im Sang-Soo a à nous dire.
Amour agité
Im Sang-soo avait mis les fans de ses précédents films en garde: "Old Garden" allait faire l'impasse sur ses habituelles (et provocatrices) scènes torrides – or il manque justement ce petit grain de folie pour embraser l'écran.
"The Old Garden" est l'adaptation de l'un des meilleurs romans de l'incroyable écrivain Hwang Seok-Young. Un homme d'une rare intelligence et d'une humilité étonnante après une vie bien remplie. Contestataire de son gouvernement, il a été – notamment – emprisonné pour avoir quitté sans autorisation la Corée du Sud pour organiser une rencontre avec des écrivains de la Corée du Nord et de prouver qu'un rapprochement était possible, notamment par le biais de la culture. Il a passé sept longues années en prison – et ce alors que le parti "démocratique" de la Corée du Sud était déjà venu au pouvoir. Hwang a entrepris pas moins de sept grèves de la faim pour attirer l'attention sur son cas et sur les conditions d'emprisonnement toujours inadaptées au destin des prisonniers. Il a écrit "Old Garden" à sa sortie de la prison et a très certainement mis beaucoup de lui dans ses personnages.
Quelques connaissances concernant la période dépeinte dans "Old Garden" sont – tout comme dans "President's Last Bang" – indéniablement un "plus" pour apprécier au mieux cette histoire; et notamment l'épisode particulier du massacre de Kwangju. Ce soulèvement des étudiants en mai 1980 faisait suite à l'état de siège mis en place par le général Chon Tu-hwan au lendemain de l'assassinat du président Park Chung-hee en 1979 (soit l'épisode dépeint dans le précédent film d'Im, "President's Last Bang"). En fait, plusieurs catégories sociales s'étaient élevées contre cet état de fait, jusqu'à mobiliser 150.000 manifestants le 23 mai 1980. Le 27 mai, l'armée lance une vague offensive sanglante, faisant officiellement 200 morts…et plusieurs milliers d'après des sources officieuses. Des participants ont été traqués pour purger des longues années de prison. Tel le personnage principal du film.
Sa sortie de la prison après 16 ans coïncide bien évidemment après un profond bouleversement de son pays, désormais "démocratique" depuis la fin des années 1980/ début des années 1990. Non seulement ne retrouvera-t-il le même mode de fonctionnement et de pensée, mais en plus proches et membres de sa famille ont profondément changé.
Im rend assez bien compte de ce décalage, bien que compte surtout l'histoire d'amour principale et le rattrapage des années perdues par l'homme à travers les écrits laissés par son ancienne amie.
La première partie s'efforce à introduire els personnages et à habilement mélanger passé et présent à travers une série de flash-backs amenée par bien des manières différentes. Déjà, Im fait preuve de son indéniable talent de metteur en scène, aussi bien visuellement (des images de toute beauté), que stylistiquement (des habiles montages entre passé et présent et quelques mouvements bien sympathiques, comme l'incroyable "envolée" du père écoutant pour al première fois la voix de sa fille). En revanche, Im met donc sa menace à exécution: la relation entre les deux personnages principaux est bien chaste et il aurait été très certainement bienvenu d'insuffler un peu plus de passion et de fougue, autant pour rendre compte de leur relation fusionnelle (qui traversera quand me^me pas mal d'années) et de l'état de l'extrême fragilité (le personnage masculin risque de se faire arrêter à tout instant).
La partie centrale ne donne pas dans la demi-mesure dans la recréation de la violence des affrontements entre manifestants et soldats de l'armée. Im Sang-soo, l'engagé politique, ne cache pas ses idées et ne mâche pas ses images.
La dernière partie développe de manière très mâture l'état d'esprit des principaux personnages et inclut une scène au moins aussi traumatisante que celle de l'enfant tombant dans le vide dans son antérieur "Goodlawyer's wife". En revanche, il se perd également dans son esthétique de plus en plus poussé et perd en intensité émotionnelle.
Et là réside sans doute le principal défaut du film: la charge émotionnelle sonne par moments "faux"; soit Im tente de s'adapter à un cinéma plus commercial en n'évitant pas de verser dans un sentimentalisme trop facile (et étonnant de sa part); soit il se laisse un peu trop aller à son autosatisfaction (son plus gros défaut) de vrai artiste et se regarde tourner…Et de perdre de vue, l'une des principales qualités de l'auteur originel: l'humilité de ton.
Néanmoins un très bon film, brillant au sein de la cinématographie coréenne – et qui prouve l'énorme écart qui puisse exister entre un film commercial ("Once in a summer") et un film d'auteur sur un même thème!!!
coulez mes larmes, dit le prisonnier
Je ne cesserai de regretter la bonne époque de
Tears.
Ca fait vieux (jeune ?) con dit comme ça, mais il n'empêche que depuis trois films - et même s'il s'intéresse à des sujets pas évidents et si le résultat n'est finalement pas déshonnorant -
Im Sang-Soo est devenu un cinéaste terriblement académique.
24 juillet 2007
par
Epikt
Un bon film
Un bon film, mais à mes yeux trop peu mordant comme il aurait du l'être, compte tenu du thème abordé. Un peu trop plongé dans la romance, avec des séries de flashbacks à n'en plus finir, sans compter un dénouement fastidieux. IM Sang-soo m'avait déjà laissé ce sentiment avec "The President's Last Bang", pas assez engagé sur le sujet traité, trop de rondeurs et un regard encore trop indulgent d'après moi.
Vu au JIFF 2007.
Im sang soo a encore frappé
Im sang soo, nous refait dans l'historique, et on en redemande ! Une esthétique superbe, sous un contexte historique passionnant.
L'histoire mouvementé, somme toute assez récente de la Corée du Sud est véritablement, l'une des histoires les plus compliqués et les plus prenantes de nos dernières decénies.
Les deux personnages principaux jouent vraiment bien, on y croit quoi. Pas de fioritures, pas de scènes complètement sentimentaliste. Le ton reste juste tout le long. Même si quelques longueures subsistes...
Un film qui plaira sans aucun doute aux fans de Im sang soo tel que moi... Après pour les autres, rien que par l'aspect historique, ce film est agréable et prenant. Un film complet en somme.
Sublime
Captivé du début à la fin, les acteurs sont trés bons, l'histoire passionnante enfin comme dit Mister_Tsukimoto: "(...)
Im Sang Soo à encore frappé..."
Je suis tout à fait d'accord !!!!!
Ennui chic
Corée du Sud, les années de plomb. Lui et elle sont étudiants, contestataires et tombent amoureux. Passé à la clandestinité, il est finalement arrêté et condamné. 17 ans plus tard, il recouvre la liberté. Le pays a changé, les amis ont vieilli et il apprend que sa bien-aimée vient de décéder d'un cancer. Les images du passé reviennent à la surface...
Les deux précédentes oeuvres de Im Sang Soo sont de grandes réussites mais ce film ne m'a guère convaincu. Le fil dramatique est relativement ténu puisque ce sont des bouffées proustiennes du passé, à la chronologie confuse, qui occupent l'essentiel du film. Im Sang Soo est, comme tous les grands réalisateurs du pays du matin calme, un grand styliste et il sait transmettre une atmosphère, qu'elle soit contemplative (les séjours dans la montagne des deux amoureux) ou dramatique (les combats avec les forces de l'ordre). Mais, et je ne sais si c'est dû à la fadeur des (très beaux) interprètes ou au manque de punch du scénario, l'émotion reste à la surface. Problème confirmé dans l'opus suivant (The Housemaid).