Plaisirs. Chair. Oshima. A priori, on peut s'attendre à un film très hot, genre L' Empire des Sens... Eh bien non (malheureusement diront certains!), pas du tout. Les Plaisirs de la Chair peut se résumer à une sorte de polar, avec du suspense, des rebondissements et un dénouement à la Agatha Christie. Mais de scènes chaudes, point.
C'est pas grave: l'histoire de ce jeune homme qui, dans des circonstances étranges, hérite de 30 millions de yens et décide de tout claquer en échange de sa vie est diablement intéressante. Que feriez-vous dans une telle situation, avec tout ce fric à dépenser, en sachant que vous allez mourir dans un an? Si vous me répondez que vous allez acheter l'intégrale des films asiatiques et que vous allez tout regarder pendant ces 12 mois, j'aurais du mal à vous croire même si c'est une bonne idée: à mon avis, vous vous payeriez plutôt des belles femmes à qui mieux mieux (" si tu restes avec moi, je te paye 1 million de yens par mois", ça a de quoi convaincre...) et vous mèneriez la grande vie! Et c'est ce qu'a choisi de faire le héros du film, ça tombe bien...
Mais quand notre ami découvre qu'il n'était pas obligé de mourir et qu'il aurait très bien pu vivre sans rien faire pendant le restant de ses jours, évidemment, il a la rage, une rage démultipliée quand il apprend que sa bien-aimée, à l'origine de ses déboires, l'a trahi!!
On suit ces aventures sans déplaisir et avec intérêt, les évènements s'enchainent bien et le scénario se tient. Et comme souvent chez Oshima, on assiste à une recherche effrénée du plaisir qui va tourner au cauchemar, assis bien confortablement dans notre fauteuil... Malheureusement, peu de monde semble l'avoir vu: moins de 5 votants sur IMDB!
Les Plaisirs de la chair est un grand Oshima, à n'en pas douter. Le cinéaste expose un Japon qui ruine ses propres valeurs à cause de l'argent, du sexe et du mensonge. Sans être un des éléments les plus virulents, le mensonge se ressent à travers le portrait de Wakizaka, un meurtrier, qui avait promis à un fonctionnaire du domaine des Eaux et Forêts de garder une valise renfermant 30 millions de yens. Ce fonctionnaire a détourné l'argent et menace Wakizaka de le dénoncer à la police s'il ne garde pas la mallette durant sa période d'emprisonnement. Wakizaka accepte le deal mais ne résistera pas longtemps à la tentation à cause de ses faiblesses sexuelles. Puceau, l'homme est raide dingue de Shoko, une jeune femme qui vient pourtant de se marier, ruinant alors ses espérances. A présent qu'il possède une montagne d'argent il décide de passer un an à faire la tournée de lieux chauds de Tokyo pour se payer littéralement des femmes jusqu'à se donner la mort avant que le fonctionnaire ne retrouve sa trace. Femmes à louer, pour une période indéterminée, Oshima dessine alors un portrait étonnant du Japon avant la crise économique : les femmes acceptent plus ou moins toutes l'offre de Wakizaka. Rémunérées au mois, l'argent leur permet de combler des dettes, de payer les médicaments aux enfants malades ou encore de les sauver du chômage. Si une d'entre elle abuse de cet argent et profite de la belle vie (superbe appartement, vêtements et parfums luxueux vomis par Oshima car considérés comme de l'argent jeté par les fenêtres), les autres s'en servent uniquement pour subsister dans la société. C'est le cas de cette femme vivant à la campagne tenant à l'écart son mari pour que son amant d'un temps lui fasse profiter de ses biens, même si leur histoire terminera mal, une constante dans la relation tumultueuse avec chacune d'entre elle. Seule une jeune aide-soignante sortira de l'expérience avec sa fierté, préférant annuler toute relation plutôt que de continuer une vie de pacha sans amour. Le cas est d'ailleurs relativement grave dans la mesure où Oshima montre à l'écran une scène de divorce, considéré comme tabou au Japon (longtemps les films incluant une scène de divorce étaient censurés par les commissions). Avec sa propre société de production, Oshima se permet alors des choses qui feront le succès de son œuvre à venir avec notamment le superbe L'Empire des sens. Si Les Plaisirs de la chair n'atteint pas le degré d'érotisme torride de ce dernier, il brasse les thèmes de la sexualité sans farouche aucune avec une belle morale à la clé : on n'achète certes le corps avec l'argent (définition même d'une certaine forme de prostitution), mais le cœur n'a pas de prix et Wakizaka finira par se faire piéger par celle qui l'aimait en toute fin de métrage, lorsqu'après avoir liquidé l'intégralité des 30 millions de yens, Shoko revient comme par magie à l'écran en implorant une aide financière. La femme épouse d'un riche industriel en cosmétique n'est plus rien sans le sou, et finira par agir comme une traitresse tout simplement parce qu’elle n'a pas eu ce qu'elle désirait le plus.
L'amour, l'argent, rien ne tombe du ciel et Oshima travaille là-dessus avec une efficacité remarquable, car ce qui aurait pu être qu'un simple film sur les déboires sentimentaux d'un homme mêle en fait onirisme et visions de cauchemar : dans un premier temps Wakizaka est hanté par le personnage de Shoko, croyant la voir un peu partout comme si elle représentait l'ange venu le prévenir des risques qu'il encoure à démarrer une vie de débauche et de facilité. Le personnage de Wakizaka est aussi remarquable de métamorphose, au départ timide, l'homme frêle se transformera peu à peu en macho de première : l'argent change les gens? Tout comme le sexe facile? L'homme finira par être pathétique lorsqu'il implorera une jeune femme de lui faire l'amour. Qui joue avec le feu et le laisser-aller finira par perdre des plumes dans l'aventure, d'où une tentative de suicide en fin de métrage avortée par la douleur d'une simple information donnée par un inspecteur de police. Si Oshima soigne l'écriture, il en va de même pour la mise en scène générale : travaillée à l'extrême et extrêmement cohérente avec les propos du film, le film jouit de solutions formelles intéressantes comme lorsque Wakizaka erre seul dans les rues avec en plan superposé le souvenir d'une relation sexuelle. De plus, certains plans étirés sur la longueur (comme ce magnifique plan sur une mer enragée) imagent bien la détresse que vivent les personnages, logique au vu d'une telle situation (offrir son corps contre une belle vie). La musique n'est pas en reste, offrant quelques beaux moments d'épouvante. Un Oshima préfigurant clairement le sulfureux L'Empire des sens et offrant au cinéaste un autre grand film à son actif.
Oshima réussi avec ce film a sublimé le plaisir tel un virtuose ( Masumura pourrait on dire ).
Cette histoire tourne autour de rencontres, autour de femmes. Chacune est aussi innocente que pure, et aussi diabolique que néfaste au héros. Pourtant, celle qui lui sera fatale est celle qu'il aime, la plus celeste ( dans une candeur immaculée avec sa robe de mariée ) alors que, paradoxalement, elle lui échapperra toujours. Tandis que la prostitué ( image même de la femme venale ) lui sauvera la vie en volant celle d'un autre, et s'avère la seule à pouvoir "aimer" le héros.
Aussi, le plaisir n'est pas seul enjeux. Il y a l'argent ! Ce dernier les corrompt tous ! De l'innocente ou tueur, du héros à l'escroc, l'argent est le lien qui les unis. L'amour n'est qu'une illusion. Comme l'apprendra le héros dans un final prévisible car tout compte fait inévitable.
Un film de chair, un film de sang, regorgeant de fascinantes créatures et de désillusions !
Excellent polar de jeunesse pour Oshima.
A travers la folle histoire d'un répetetiteur déçu de ne pouvoir épouser la femme de ses rêves, il tombe dans un engrenage fatal proche d'un cauchemar phantasmagorique. Les différentes femmes, qu'il se paye sont effectivement autant de représentatations féminines fantasmées, donc toutes insaisisables; mais autant ces illusions féériques répondent à l'appel de l'argent et semblent voir au-delà de la simple "image" du gros méchant, autant la femme des rêves restera décidemment en-dehors de la portée de main de l'héros.
La fin est finalement d'une cruauté extrême, un retour du bâton totalement attendu après tous les précédents dangers qui semblaient guetter le héros...
A travers la superiorité pécunière, Oshima traduit également une métaphore de la femme opprimée, toujours d'actualité dans une société où la libéralisation de la femme se fait à très petits pas...
Les plaisirs de la chair est un film charnière entre le Oshima première période, celui de la trilogie de la jeunesse, et le Oshima des grandes oeuvres de 1968-1972. On retrouve certes des obsessions du réalisateur (la corruption du sexe, l'aliénation par l'argent) mais ce qui frappe surtout, c'est l'absence de patte personnelle de la mise en scène. A tout prendre, le film pourrait être signé Masumura (et il aurait été encore plus sensuel), voire Imamura (et il aurait été plus profond et plus foutraque). Ca n'empêche qu'il s'agit d'un film brillant et stimulant. L'idée de base (claquer dans les femmes et en une année une fortune acquise du fait d'un meurtre avant de se faire seppuku) est tout simplement géniale et le défilé des femmes qui partagent cette dernière année est saisissant (avec une typologie très oshimienne pour le coup : la pute, la femme mariée, la femme indépendante, la sourde-muette). La conclusion est au niveau du pitch : improbable et grandiose.