Girls with balls !
Avant tout associé à des mangas sombres où violence, mystère ainsi qu’une touche d’érotisme ont souvent la part belle, le travail de TAKAHASHI Tsutomu ne se réduit pourtant pas uniquement à ces marques distinctives. Ces dernières années le mangaka a ainsi investi avec réussite divers autres genres, enrichissant sensiblement son registre : histoires de samouraïs avec sa série actuelle Sidooh (2005), histoires de loubards avec son autre série en cours Bakuon Rettuo (2003), ou encore le passionnant Tetsuwan Girl (2000) qui nous occupe ici, première tentative d'envergure pour sortir de la "routine" fantastico-glauque qui faisait sa marque de fabrique jusqu'alors.
Tetsuwan Girl n'est pas ce qu'il paraît de prime abord. Le titre fait certes référence au base-ball (la fille au bras d'acier) et l'histoire s'articule également autour de ce sport, mais le manga de TAKAHASHI n'a rien à voir avec un shonen (pour pré-ados et ados) sport type. Et ça tombe bien, c'est un seinen> (pour jeunes adultes et adultes). Donc pas de match à rallonge sur plusieurs volumes, pas de techniques secrètes à périodicité métronomique. Ici le base-ball est un cadre, une référence, un espace dramatique, non le sujet premier. Le parcours de Tome Kano, qui commence comme une relation de la première tentative de monter une ligue de base-ball féminine japonaise, n'est pas non plus un récit historique sur la condition de la femme dans le Japon de l’immédiat après-guerre. Si ce contexte ainsi que le tableau d'un pays socialement et économiquement exsangue, viennent indéniablement enrichir la trame du manga, ça ne fait pas pour autant de Tesuwan Girl une chronique qui dénonce tous azimuts. Quelles que soient les réelles intentions de l'auteur derrière cette ébauche de discours social et féministe, au-delà d'une posture et d'une prise de position indéniable, le manga de TAKAHASHI n'a pas non plus de réelles vocations didactiques sur ces questions. Ce cadre fonctionne avant tout comme point de départ et toile de fond de l'épopée de Kano.
Personnage hautement romanesque symbolisant effectivement une gente féminine entrée en émancipation, cette dernière présente toutes les caractéristiques d'un idéal féminin - si ce n'est un fantasme - très masculin : superbe jeune femme sans le sous, fière, indépendante et forte, avec une volonté farouche de ne pas céder d'un pouce devant l'adversité masculine, toujours soucieuse de garde la tête haute face à l'occupant américain, mais prête à toutes les compromissions pour récupérer son amour perdu. Une jeune femme qui se révèle de plus dotée d'un don exceptionnel une balle de base-ball à la main. Un rêve de publicitaire. Une stature de star. Une héroïne en puissance. Un personnage captivant. Pari réussi. Une fois le nez dedans on ne décroche plus.
A la lecture on sent vraiment l'auteur concerné par son histoire. Alors que ce dernier a parfois tendance à se disperser et à manquer de consistance sur ses formats plus longs, Tetsuwan Girl fait preuve d'une narration cohérente et soutenue jusqu'au bout. Et si TAKAHASHI n'est pas le meilleur "story teller" de la profession, avec des dialogues manquant parfois de naturel et de fluidité, il délivre ici un travail "propre" et efficace. En s'appuyant sur une galerie de personnages où les femmes ont la part belle et les hommes souvent le mauvais rôle, en sachant régulièrement relancer l'intérêt de son scénario (confrontations sportives, thriller, grande finance, passion amoureuse...) sans tomber dans la surenchère ni se perdre, l'auteur emporte aisément le morceau. Certains pointeront peut-être un portrait à charge de l'occupant américain, ainsi qu'une volonté de revanche nationale sur le terrain d'un sport partie intégrante de l'identité culturelle de ce dernier ; ce serait faire là un mauvais procès et méconnaître la réalité des rapports de vainqueurs à vaincus. Ce serait aussi injustement réduire le propos du manga et ignorer le caractère subversif de la trajectoire de ses personnages.
Ne perdant pas une occasion de magnifier son héroïne à coup de pleines et doubles pages régulières, nous régalant de personnages féminins secondaires toujours aussi bien croqués, faisant preuve d'un vrai sens de la mise en scène visuelle lors des parties de base-ball, pas avare de "gueules" et de "tronches" bien patibulaires quand il le faut, TAKAHASHI s’appuie sur son coup de crayon pour emballer le tout et livrer un manga tout en séduction. Plus qu’a attendre pour les lecteurs hexagonaux l’annonce d’une future édition française afin de juger sur pièce.
16 octobre 2006
par
Astec