Impasse parisienne
Avec Un Couple Parfait, Suwa Nobuhiro réalise cette fois son premier vrai "film français" après un H Story qui avait Hiroshima mon Amour dans le rétroviseur.
Après le style très haché de son film précédent, il revient ici le plus souvent aux longs plans séquences et à la photographie obscurcissant les visages des personnages en intérieurs de M/Other. Mais aux écrans noirs accompagnés de violons désaccordés de ce film-là se sont subsitués des coupures de simple écran noir moins brusques tandis que quelques gros plans parfois filmés caméra à l'épaule scrutent parfois jusqu'à les écraser les visages des personnages. Cet étirement des plans qui produisait dans les deux films précédents du cinéaste de vrais moments de grâce improvisés par les acteurs à partir de canevas de situations ne fonctionne pas dans l'ensemble ici. Les dialogues de la séquence d'ouverture du taxi sonnent faux de même que le speech de Jacques Doillon lors d'une soirée arrosée. Les disputes du couple à l'hôtel produisent elle aussi du dialogue de mauvais vaudeville (ou de l'artificiel comme cette tentative de Marie de lire du Rilke à Nicolas) et font sombrer le film dans la caricature de ses modèles (pour résumer tout le cinéma de la Nouvelle Vague et de la modernité ayant abordé la question du couple).
L'annonce de la séparation lors d'un rendez-vous entre amis avec une légèreté de ton déstabilisant les interlocuteurs est un des trop rares bons moments de cinéma du film. La scène du zinc avec sa promesse d'un possible adultère et ce speech d'un vieil homme dressant un parallèle entre le couple et la guerre fait partie des passages en éxtérieur réussis du film. La scène finale à la gare, filmée très à distance, en est elle d'autant plus touchante. Mais c'est dans les errances de Marie que le film se révèle le plus navrant. Les scènes au Musée Rodin tombent dans le piège de la lourdeur, les sculptures stabilobossant inutilement les problèmes de couple de cette dernière.
Et c'est peut être aussi dans ces scènes au choix de lieu évoquant une idée dix-neuviémiste de la culture française que se révèle le gros problème du film. Montrant un Paris le plus souvent circoncrit à un univers très "bourgeoisie cultivée du 5ème arrondissement", Suwa offre un film parfaitement intégré par son choix de milieu social au cinéma d'auteur français contemporain tout en restant fidèle à la radicalité de ses parti pris. Mais ce faisant il finit souvent par tomber dans les travers récurrents de ce cinéma-là. Soit des séquences à la durée étirée inutilement ou n'apportant rien narrativement portées par l'autosatisfaction et la certitude de "faire artistique". Et un cinéma aussi déconnecté de la France contemporaine que les milieux décrits (à part dans la scène du bistrot où voit-on ici la vie parisienne?). Sans non plus convaincre, l''escapade d'Hou Hsiao Hsien sur les traces d'Ozu avait elle au moins le mérite de tenter de capter vraiment Tokyo au quotidien.
Un Couple Parfait agaçe parce que symptomatique d'écueils arty pouvant mener au gâchis de grands talents déjà entrevus du côté de Claire Denis et Gus Van Sant. Et le film de cumuler les signes des plus inquiétants pour l'avenir artistique d'une des grandes révélations récentes du cinéma japonais.
le cinéma pauvre
Un homme, une femme qui se séparent. C'est ce que propose un couple parfait. La séparation, un sujet dont se nourrit volontiers le cinéma, art du champ/contre-champ, de la séparation, et d'un oeil qui tente une impossible réconciliation.
Le problème, c'est que dans un couple parfait, c'est l'Idée, pesante, fade et visqueuse qui se manifeste entre ces 2 êtres. Dans cette scène qu'exhibe si fièrement la bande annonce, où Marie referme la porte à son mari hors champ, on ne voit plus que la porte, une frontière qu'on nous impose, artificiellement, de la main évidente de l'actrice qui joue sous l'oeil du réalisateur, soumise à l'Idée. Ce qui importe c'est qu'on nous fasse bien comprendre que c'est la porte qui compte, l'Idée de la porte. Qu'un film c'est le dispositif, qui tient à force de surcadrages insistants et d'inutiles étirements à de la grossièreté, et qui fait valoir l'Idée, toujours, que ce soit celle de la séparation, de la fatigue, de la perdition etc. Le brouhaha comme signifiant de l'Idée d'extinction de sens, ou encore le silence en tant qu'Idée assourdissante et agacante, dissimulant ce qu'est un vrai silence au cinéma, une suspension, une absence de mots et d'idées devant l'image, une interrogation. Un couple parfait n'est qu'affirmations de dispositifs et de styles. En dépit de toute la méticulosité qui a pu être apportée, on se fout royalement des images, on fait voir de la Géométrie, de la Structure, des choses déconnectées des sens et du regard, avec majuscules et grandiloquences. Une certaine idée du cinéma, cérébrale et ennuyeuse au possible. Et tellement prévisible et convenue , en dépit de toutes les improvisations (mauvaises) qui peuplent le film. Un gros plan sur un Rodin, une lecture de Rilke, quelle trivialité! Quelle absence de sens et de subtilités! On criera au chef d'oeuvre, comme on a pu le voir ici et là mais en vertu de quoi? D'Idées simplement, qui n'entretiennent guère l'illusion que l'oeil ici a de quoi se nourrir, si ce n'est un plan final rempli de mystère et de grâce, et qui viendrait presque sauver tout ce qui lui précédait, son exact contraire.
Ûn film dégagé
Quand on filme en 35 mm, on a maximum 10 minutes de pellicule dans le magasin. Il est obligé que quelque chose advienne dans ces dix minutes, sinon la bobine est perdue.
Dans M/other, il arrivait que ce quelque chose advienne à la toute fin de la bobine: on voyait le flash de fin de bobine, conservé dans le film monté, et c'était absolument magique. Juste avant que la caméra ne décroche, les acteurs atteignaient souvent un moment de vérité bouleversant.
C'était d'autant plus émouvant que l'on avait l'impression d'être les témoins d'un instant décisif. Il faut être un grand cinéaste pour savoir capter ça.
Maintenant, Suwa tourne en DV. Les cassettes durent une heure. Il faut que quelque chose advienne, mais on a le temps, on a une heure. En plus une cassette DV, ça coûte rien.
Les acteurs ne se pressent pas. Puis oublient pourquoi ils sont là, et in fine, oublient que quelque chose doit advenir malgré tout, que c'est ça le cinéma, c'est quelque chose qui advient.
Qu'est-ce qu'on gagne ? Une actrice qui continue à jouer derrière une porte fermée, puisque qu'on n'a pas coupé la prise , on tourne en DV.
Qu'est-ce qu'on perd ? Le cinéma.