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Le Vent Nous Emportera

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les avis de Cinemasie

3 critiques: 4.25/5

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1 critiques: 3/5



Ghost Dog 4 Contemplation mélancolique
Ordell Robbie 4.75 Sublime encore. Et aurait mérité le Lion d'Or.
Xavier Chanoine 4 Beau séjour à Sia Dareh
classer par notes | date | rédacteur    longueurs: toutes longueurs moyen et long seulement long seulement


Beau séjour à Sia Dareh

vlcsnap-11070.jpg Certains voient en Le Vent nous emportera comme la somme du cinéma si caractéristique de Kiarostami. Voilà donc un cinéaste qui se libère de toute complication, filmant le quotidien comme un doux poème dont il tire la force tout au long, empruntant des vers de la poétesse Forough Farrokhzad pour alimenter une narration déjà empreinte de fulgurances là aussi poétiques (comme si les merveilleux paysages n’étaient pas assez) où un homme et sa bande d’amis (qu’on ne verra pas) débarquent dans le village de Sia Dareh dans un but inconnu. Sur le chemin, ils rencontrent un gamin qui semble les attendre pour les guider vers le village, lui confiant qu’ils sont ici pour découvrir un trésor. Mais les raisons sont floues, tout juste pense t-on qu’ils sont ici pour un reportage, mais Kiarostami (scénariste, monteur et aussi producteur) lésine sur les pistes, là n’est pas l’intérêt. Le film est une belle évocation de l’utilité d’un homme quelconque qui verra son destin changer au fil que les choses changent autour de lui : son amitié avec le gamin, plus forte au début simplement parce que le gamin est disponible et serviable. Il le montre bien en lui filant une réponse à ses fameux examens dont il parle tant. Les relations avec le voisinage, aussi, cette femme enceinte de son dixième enfant qui ne passe sa vie qu’à étendre le linge et faire les tâches classiques d’une femme de là-bas, dont Kiarostami permet même de questionner leur statut au travers d’une discussion au départ anodine sur la fatigue d’une femme serveuse de thé. Un vieillard à la terrasse ne supporte pas l’idée qu’une simple serveuse de thé puisse être fatiguée, alors que lui, se démène dans son champ en plein soleil. Cette discussion sage démontre que le jugement est monnaie courante. Le héros, que l’on nomme ici « Monsieur l’ingénieur » ne porte pas de jugement mais il exécute. On le voit aller de-ci de-là tout en haut d’une montagne (faisant office de cimetière) pour recevoir des coups de téléphone d’une certaine femme. Il semblerait qu’il soit en mission, et l’intérêt qu’il porte à une vieille femme malade est suspect. De là-haut, l’ingénieur reporter d’un jour taille une bavette avec un ouvrier de la terre (qu’on ne verra pas non plus, ou l’art du hors-champ du cinéaste) et le temps passe. Le temps passe et l’on ne sait toujours pas qui sont ses amis, à quoi ils ressemblent. On ne sait pas non plus forcément avec qui discute l’ingénieur, les paysans rencontrés sur le chemin ne sont visibles que de dos par l’intermédiaire du rétroviseur de la voiture. On n’en verra pas plus.

vlcsnap-8298.jpg Mais ici, sans doute plus que chez d’autres cinéastes, le hors-champ fait partie intégrante de la narration et se confirme dès les premiers instants du métrage, dans une séquence notamment où la bande d’amis commente le paysage et évoque un grand arbre isolé. « Ah tu le vois ? Le grand, là-bas » alors que le spectateur n’en a toujours pas vu la couleur et qu’il devra patienter dix grosses secondes pour voir cet arbre (l’exemple vaut aussi pour la découverte du village). L’utilisation de la caméra subjective est aussi très forte, bien que moins appuyée que dans son chef d’œuvre Le Goût de la cerise où le dialogue évoluait presque uniquement par le regard caméra (difficile de faire autrement lorsque le film se passe en majorité dans une voiture), mais permet au cinéaste de varier sa mise en scène bien que ce dernier opte pour un schéma répétitif  mais cohérent si l’on parle de simple « structure » : l’ingénieur découvre le village (ou labyrinthe), le visite, discute, reçoit un coup de téléphone, prend sa voiture et s’en va dans les hauteurs, le tout, répété cinq ou six fois sans pour autant paraître « linéaire » ou répétitif sur le plan purement narratif. Sans doute doit-on cela à la magie du cinéma de Kiarostami, évitant au maximum les coupes à l’écran pour balayer sa caméra en panoramique et garder son acteur en joue par ses moindres faits et gestes. Les décors naturels sont d'une grande beauté picturale, certains champs évoquent dans la seconde un tableau de Van Gogh. Du grand art. Le regard subjectif est aussi bien utilisé, notamment lorsque l’ingénieur regarde l’esprit tourmenté une pauvre tortue ou un bousier rentrant dans un trou (au même moment un homme tombera lui-aussi dans un trou). Le cinéaste questionne aussi le vivant du matériel en comparant plusieurs fois l’homme à une machine (une voiture par exemple), tous deux méritant effectivement du repos pour ne pas tomber en ébullition. Vraie réflexion sur la vie, sur le temps qui passe, sur la solitude ou l’échec (qui feront péter les plombs de l’ingénieur), l’accomplissement d’un homme et son utilité dans un cadre qu’il ne connait pas (après s’être énervé contre le gamin, il se rendra utile auprès de la population en faisant office de taxi dans l’urgence), tout en étant sans réel but, voilà ce qui alimente ce très beau film de Kiarostami, opposé d’un Goût de la cerise où le suicide était le moteur même de la narration (une fois de plus avortée par des êtres sages). Sage et universel, rarement un dialogue banal n’aura transmis autant de réflexion et d’émotion. Le cinéma de Kiarostami est précieux et nécessaire.



23 août 2008
par Xavier Chanoine


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