Tourné dans l’immédiat après-guerre, le film est autant un mélodrame qu'une oeuvre sociopolitique aux accents néo-réalistes. C'est cette dimension qui surprend au premier abord car l'approche des cinéastes est assez originale et courageuse en s'ouvrant quasiment sur 15 minutes assez lyriques sur complainte des chinois dans des villes en décombres, victimes premières des ambitions belliqueuses japonaises. Une très belle séquence d'introduction avec des mouvements de grues amples et parfois virtuoses (le plan dans le bateau qui se rapproche du visage de Kenichi, la caméra survolant les maisons chinoises en ruines...) qui en même capté dans un style documentaire par moment déchirant. Un plan en particulier m'a bouleversé. Un cadre fixe où l'écran est presque coupé en deux. Sur le côté droit, une longue route poussiéreuse qui se perd à l'infini et sur le côté gauche, on voit un âne boitant faisant quelques pas avec difficulté. La fatigue est trop forte et l'animal se couche péniblement avant de s'écrouler de tout son poids, comme s'il refusait de lutter pour survivre. Peu de plans ont aussi bien symbolisé l'état de décrépitude physique et mentale de la population civile. Je me demande vraiment comment cette image a été filmée ou s’il s’agit d’un stock shock. En tout cas, son effet est vraiment impressionnant et douloureux.
Il faut dire que le co-réalisateur Fumio Kamei est l'un des spécialistes du documentaire pacifiste. J'avais pu découvrir il y a quelques années "Il est toujours bon de vivre" (1946) et j'imagine qu'il est l'auteur de tous ces plans plus ou moins pris sur le vif ou tourné au coeur même des décombres encore fumants. Certaines séquences dans le Japon sont tout autant admirables (un incendie saisissant et spectaculaire, des maisons qu'on abat avant qu'elles ne s'écroulent etc...)
Voilà, pour la partie documentaire/néo-réaliste. Celle mélodramatique est forcément un peu moins forte mais elle a l’avantage d’être plutôt bien écrit, très humaniste et préfère jouer sur une sensibilité où la compréhension privilégie les crises d’hystérie, de jalousie et le pathos (quelques moments m’ont fait penser à la trilogie marseillaise de Pagnol). Reste que l’on évite pas non plus des clichés, des péripéties démonstratives (l’amnésie du meilleur ami) et un discours pas très subtil sur un appel à reconstruire le japon avec optimisme et volontarisme.
Par contre, la mise en scène est souvent d’une grande qualité en tentant de traduire avec la mise en scène la psychologie des héros. Ca peut donner des choses très modernes comme cette succession de faux raccord où le visage de l’épouse au premier plan qui sort du cadre dévoilant son prétendant dans le fond de l’image. Ou encore le découpage de certaine scènes en intérieurs qui se montent selon ce que les personnages en amorce cache la visibilité du plan.
Ca n’évite pas toujours la maladresse mais les réalisateurs ne manquent vraiment pas d’idées pertinentes d’autant que cela accompagne l’histoire et les protagonistes. C’est en plus une manière astucieuse de contourner un budget restreint (production indépendante oblige) qui n’évite pas à gommer tous les défauts inhérents à ce genre de financement (qualité d’images aléatoire, le film est entièrement post-synchronisé, l’interprétation est inégale…).
Ce n’est donc pas un chef d’œuvre mais son regard, sa mise en scène, son portrait stupéfiant du Japon de l’après-guerre et tout simplement son humanisme en font un film estimable et par moment audacieux et chaudement conseillé.